On est en flux tendu en matériel et en effectifs, cela devient pathétique » : les pompiers tirent la sonnette d’alarme
Alors que les incendies font rage dans le sud-est de la France, plusieurs représentants des pompiers regrettent le manque de moyens et d’effectifs qui leur sont alloués.
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Les sapeurs-pompiers sont mobilisés dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, du Gard, du Vaucluse, des Alpes-Maritimes et de la Haute-Corse pour venir à bout d’incendies qui ont déjà détruit plus de 7 000 hectares depuis lundi 24 juillet. « On est toujours en flux tendu, à la fois en termes de matériel et d’effectif, cela devient pathétique sur le terrain », dénonce Patrice Beunard, président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP). « Ce qui me fait très peur, c’est qu’on ait un feu qui démarre dans le Sud-Ouest. Là, je ne sais pas comment on fait », s’alarme-t-il. Pour mieux comprendre ces inquiétudes, franceinfo effectue un tour d’horizon des équipements et des effectifs destinés à lutter contre les incendies en France.
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Une flotte aérienne sur-sollicitée
Actuellement, 17 bombardiers d’eau interviennent pour venir à bout des feux de forêts, dont 8 Canadair, 7 Tracker et 2 avions Dash, indique la Direction générale de la sécurité civile. Un syndicat de pilotes de Canadair a alerté sur le manque de moyens aériens pour faire face : « Aujourd’hui, la situation est explosive, nous n’avons pas les moyens aériens pour épauler et soutenir les troupes au sol », a déclaré à franceinfo Stéphan Bars, pilote de Canadair et responsable du syndicat SNPNAC. En cause, l’incapacité de voler au maximum du potentiel de la flotte pour des raisons techniques. « Ce sont des avions qui ont entre vingt et vingt-cinq ans, qui sont en très bon état à partir du moment où ils sont entretenus et que les pièces détachées arrivent en temps et en heure », estime Stéphan Le Bars.
Du côté de la Direction générale de la sécurité civile, on estime que « la flotte actuelle suffit » aux besoins, même si on admet qu’« elle est actuellement sur-sollicitée. Pour donner un ordre de grandeur, normalement on effectue 2 500 largages par saison, et, cette année, on en est déjà à 5 000 largages. » Avec, en première ligne, les Canadair. « Lorsqu’ils se remplissent d’eau à 180 km/h, l’eau est dure comme du béton » explique à franceinfo le colonel Michaël Bernier, du cabinet de la Direction générale de la sécurité civile, ajoutant que les appareils doivent rester à terre pour des questions de maintenance.
Mardi soir, Gérard Collomb a confirmé la commande de six bombardiers d’eau de type Dash 8. Cet effort n’est pas suffisant, selon Renaud Muselier, le président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, interrogé par franceinfo mercredi. « C’est un plus, mais ces bombardiers font six tonnes d’eau et doivent se poser à terre sur un aéroport pour pouvoir recharger. Ce sont des retardants, ils n’ont pas la même utilité que les Canadair qui éteignent les feux. » André Gorreti, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers autonomes, confirme qu’un Dash « doit se poser pour remplir et redémarrer, c’est une énorme perte de temps ». Et d’ajouter que « ce sont de gros porteurs, ils ne sont pas du tout maniables. Sur des zones accidentées comme la Corse ou les Alpes-Maritimes, ils n’ont pas la même efficacité que les Canadair. »
Le problème, avec les Canadair, c’est que leur chaîne d’assemblage est aujourd’hui à l’arrêt, impossible donc d’en commander quelques unités supplémentaires. « Il faut faire une commande de 25 Canadair avec des pays comme la Grèce ou le Portugal, (…) pour remettre en marche la production »a expliqué Renaud Muselier, interpellant Emmanuel Macron pour organiser un « un groupement d’intérêts nationaux des pays du Sud ».
De leur côté, des syndicats de sapeurs-pompiers appellent à la création d’une flotte aérienne européenne. Il existe déjà un mécanisme européen de protection civile, que la France a enclenché lorsqu’elle a sollicité deux avions Canadair en renfort. Le commissaire européen à l’aide humanitaire a répondu mardi soir que l’Italie mettait à disposition un Canadair.
« Le problème, c’est que nos voisins sont obligés de se déshabiller pour nous venir en aide, estime Patrice Beunard. Ce qu’il faudrait, c’est une flotte européenne de bombardiers d’eau qui puisse venir apporter une aide supplémentaire aux pays dans le besoin, et qui permettrait de mutualiser les coûts ».
Un manque d’effectifs et des « collègues épuisés »
« Mes collègues sont épuisés, dénonce André Goretti. Dans les situations de feux de forêts, tout le monde s’asseoit sur les repos de sécurité », assène-t-il, décrivant des repos de seulement deux ou trois heures dans des journées de 24 heures d’intervention. Les forces au sol sont cruciales pour venir à bout des feux de forêts, qu’il faut nécessairement combiner aux moyens aériens, souligne Patrice Beunard, le président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels. « Le poids de l’eau lâchée par les bombardiers permet d’étouffer les flammes et de diminuer leur hauteur, et ce, pour que les pompiers au sol puissent s’approcher plus près », explique-t-il.
« Les forces, aujourd’hui, sont en tension, confirme Eric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. En cause, un effet ciseau de l’activité de secours à la personne qui mobilise beaucoup de pompiers en cette période estivale et touristique, ainsi que l’activité « exceptionnelle » des feux de forêts. « Ce sont des situations que l’on dit ‘exceptionnelles’, mais qui se répètent de manière récurrente. Aujourd’hui, il faut dimensionner les moyens aux risques connus », estime de son côté Patrice Beunard.
Pour Eric Faure, il s’agit, dans un premier temps, de recourir à « une mobilisation précoce des colonnes de renforts venant d’autres départements, le plus en amont possible », pour anticiper au mieux la gestion du risque. « Il faut surtout arrêter de ne pas remplacer les pompiers professionnels ». Un discours qui trouve écho auprès de Patrice Beunard : « En 2011, une directive européenne a imposé la réduction du temps de travail des pompiers professionnels, et très peu de casernes ont compensé avec des embauches », explique-t-il.
Du côté des pompiers volontaires, rien de très encourageant. « Aujourd’hui, on a beaucoup de mal à recruter des sapeurs-pompiers volontaires, déplore Patrice Beunard. On leur demande beaucoup, c’est beaucoup de pression, on les paie peu et on ne leur paie pas de charge sociale… »
Aujourd’hui, notre modèle de volontariat n’est pas assez soutenu, alors que l’on en a vraiment besoin. Sur l’ensemble des pompiers de garde au quotidien, la moitié sont des volontaires.
Patrice Beunard, président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnelsà franceinfo
Un parc routier vieillissant
Pour assurer la protection des sauveteurs, Patrice Beunard insiste également sur l’importance des équipements les plus modernes des véhicules de sapeurs-pompiers.
Or, depuis 2010, les budgets d’investissements des services d’incendie ont diminué de 25 % pour les dépenses d’équipement, affirme Eric Faure. « Il y a moins de véhicules et on est obligés de les garder plus longtemps », explique-t-il, ce qui empêche de doter les véhicules des meilleurs équipements, comme les arceaux de sécurité, les dispositifs d’auto-aspersion, de protection des organes vulnérables du véhicule, ou encore d’air respirable en cabine. « Il y a un risque pour les personnels car les vieux matériels ne sont pas aux normes récentes et ne bénéficient pas de toutes les mesures de sécurité pour protéger le personnel », regrette Eric Faure.
La moyenne d’âge des 4 000 camions-citernes forestiers en France oscille entre douze et treize ans, mais certains véhicules peuvent aussi atteindre vingt-cinq ans. « L’absence d’actualisation des équipements de sécurité peut être de nature à réduire la sécurité des intervenants, sans pour autant être non conforme aux exigences réglementaires », explique Eric Faure. En clair, la mise en place de nouvelles normes de sécurité n’empêche pas certains véhicules dépassés, donc potentiellement dangereux pour les sauveteurs, d’être employés.
Les syndicats de pompiers ont pu rencontrer Gérard Collomb mardi avant son départ pour la Corse pour lui présenter leurs doléances. En période de forts incendies de forêt, ils savent qu’ils bénéficient d’une écoute particulière. Mais chaque année, c’est la même chose, déplore Patrice Beunard : « L’été passe, l’hiver arrive et on oublie les investissements à faire. Jusqu’à ce que l’été revienne, avec son lot de catastrophes. »