Ouganda: une start-up se veut «l’Uber des moto-taxis», sécurité en plus
Rapides et bon marché, les «boda-boda» (moto-taxis) qui sillonnent les rues embouteillées de la capitale ougandaise Kampala sont aussi très dangereux. Une start-up locale veut les rendre plus pratiques, via une mise en relation par mobile sur le modèle du décrié Uber, et surtout plus sûrs.
Ces taxis à deux roues sont nés après les indépendances, à la frontière entre Kenya et Ouganda, là où des vélos transportaient marchandises ou passagers dans le no man’s land entre deux postes-frontières parfois éloignés, que les formalités administratives rendent inaccessible aux véhicules à moteur.
D’où leur nom «border-to-border» (frontière à frontière), que la prononciation locale a transformé en boda-boda à travers l’Afrique de l’Est, un terme souvent raccourci en simple «boda».
Moins chers que les taxis, se jouant des embouteillages qui congestionnent la capitale ougandaise, ils ont sinistre réputation car sont impliqués dans de nombreux accidents graves.
Près de 40% des traumatismes traités à l’Hôpital national de Mulago, à Kampala, ont pour origine un accident de boda-boda, selon une étude menée conjointement en 2010 par l’hôpital et l’université de Makerere à Kampala.
Une opération chirurgicale, des semaines d’hospitalisation à sa charge et de nombreux mois de convalescence sans revenus: si l’accident de Silver Tumwesigye il y a six ans ne lui a pas coûté la vie, il lui a coûté très cher.
«J’étais inquiet pour ma femme et mes enfants», a confié ce chauffeur de boda-boda de 36 ans surnommé «Silverstone»: «j’ai eu du mal à payer mon loyer, ainsi que les frais de scolarité».
Remis de sa grave blessure à la tête, ce père de quatre enfants a finalement repris son travail, qui lui rapporte environ 20.000 shillings ougandais par jour (six euros), soit légèrement plus que le salaire moyen estimé du pays.
– De nouveaux clients, plus d’argent –
Il assure surtout avoir appris durement le prix de la sécurité et veut désormais rejoindre les rangs de SafeBoda (BodaSûrs), jeune pousse locale qui s’est donné pour but de rendre les trajets en boda plus faciles mais surtout plus sûrs.
«Les boda-boda ont mauvaise réputation», admet le cofondateur de SafeBoda, Ricky Rapa Thomson, 28 ans, lui-même chauffeur de boda depuis quatre ans et qui organise des visites de la ville à moto: «On veut pouvoir dire que nos bodas sont sûrs. En nous forgeant une bonne réputation, nous attirerons plus de clients et gagnerons plus d’argent».
Créée en novembre 2014, SafeBoda compte une centaine de chauffeurs enregistrés, répartis dans 20 stations à travers la ville, localisables et contactables par les clients grâce à une application sur téléphone mobile.
Surtout, chaque chauffeur de SafeBoda reçoit des leçons de conduite, de maintenance de sa moto, une formation de service aux clients et un stage de premiers secours assuré par la Croix-Rouge ougandaise. Contre une cotisation de 10.000 shillings (trois euros) par semaine, ils reçoivent un smartphone, un gilet réfléchissant orange et deux casques – un pour eux-même et un pour leur client.
Juma Katongole, 32 ans, qui slalomait depuis six ans entre les nids-de-poule kampalais avec un ou plusieurs passagers cramponnés derrière lui, a rejoint SafeBoda peu après son lancement. Depuis, ce père de quatre enfants assure avoir gagné de nouveaux clients réguliers et empocher 10.000 shillings de plus chaque jour.
– Vérifier les antécédents –
C’est un client à qui il faisait visiter la ville qui a suggéré à M. Rapa de s’adresser à Maxime Dieudonné, jeune Belge de 30 ans, afin qu’il l’aide à développer une application pour améliorer le service et la sécurité des bodas.
Avec le jeune Belge, un économiste écossais du développement de 29 ans, Alistair Sussock, et l’entreprise rwandaise de technologies mobiles Hehe Labs, il a alors créé SafeBoda, parfois surnommée «l’Uber des moto-taxis», en référence au géant américain de la mise en relation avec des voitures de transport avec chauffeurs.
Un surnom paradoxal alors qu’Uber est accusé de contourner les réglementations strictes entourant les professions de taxis et de chauffeurs dans les pays développés et que SafeBoda assure au contraire vouloir créer un cadre plus sûr dans une profession largement dépourvue de règles à travers l’Afrique.
Pour M. Sussock, la vérification des antécédents des chauffeurs et leur long processus de formation rend SafeBoda bien différent d’Uber, cible de nombreuses critiques à travers le monde.
«Les difficultés récentes rencontrées en Inde par Uber, dont l’un des chauffeurs est accusé d’avoir violé une passagère, montrent les problèmes que posent l’absence de contrôle», souligne-t-il, mettant en avant la «haute qualité des chauffeurs» de SafeBoda.
Le recrutement est si rigoureux, selon lui, que 250 chauffeurs de boda-boda – dont «Silverstone» – sont actuellement sur liste d’attente.
La société, qui réinvestit pour le moment ses bénéfices dans sa croissance, espère avoir 1.000 boda-boda circulant dans Kampala d’ici à la fin de l’année, puis se développer dans d’autres pays de la région, voire plus loin. «Quelques pays, comme l’Inde, pourraient être très intéressants», estime M. Sussock.