Repris en chœur par plusieurs autres organes de presse, ou plus, plutôt, de régurgitation, un article du Monde pointait récemment un doigt indigné sur le « parcours du combattant auquel sont confrontés de plus en plus de femmes » pour accéder à un gynécologue. (De mon temps, Le Monde accordait correctement le participe passé, mais cet usage désuet passe probablement pour trop réactionnaire…) Le papier évoque les cas de femmes mûres dont le praticien est parti à la retraite et qui ne se font plus dépister, ou de jeunes qui galèrent pour une prescription de pilule, etc.
En réalité, il n’y a rien d’étonnant à la situation éminemment prévisible d’aujourd’hui. Longtemps, la France a eu deux types de gynécologues, les médicaux et les chirurgicaux, étant entendu que « qui peut le plus peut le moins ». Mais toujours bon élève européen, notre pays a obtempéré en 1987 à une directive d’harmonisation des études et fermé la filière gynécologie médicale. Depuis, cette spécialité ne vit donc plus que sur le stock de l’époque. Lequel a, bien sûr, fondu en trente ans (et ce n’est pas fini), tandis que les obstétriciens « chirurgicaux » préfèrent être au bloc opératoire plutôt que de faire des frottis ou prescrire des contraceptions. Il n’est donc pas étonnant qu’en plus de la pénurie, les tarifs des consultations augmentent en fonction de la loi de l’offre et de la demande chez les derniers gynécologues médicaux à honoraires libres et, bien sûr, à la grande indignation des journalistes. C’est tout de même curieux : nous avons les plus fortes cotisations d’assurance maladie obligatoire, le prix de nos mutuelles complémentaires augmente sans arrêt, tout ce monde-là rembourse de moins en moins et nos tarifs officiels de Sécu sont la moitié de ceux des pays comparables… Ici, visiblement, l’harmonisation européenne, on oublie !
Peut-être les Françaises ont-elle été « trop gâtées » en pouvant longtemps accéder sans difficulté aux médecins spécialistes de la femme, pour des diagnostics, des actes ou des dépistages réalisables par les omnipraticiens, quoique la formation de certains dans ces domaines ait pu laisser à désirer. Une gynécologue qui vient de cesser son activité explique, toutefois, le désarroi de certaines de ses patientes : « Elles m’ont dit qu’elles ne se feraient plus suivre, car elles ne voulaient pas l’être par un médecin généraliste… » Quoique injustifiée, on peut comprendre ce type de réticence, mais la profession étant aujourd’hui aux deux tiers féminisée, elle devrait rapidement disparaître.
Se pose enfin la question de la place des sages-femmes dans le dispositif après leurs cinq ans d’études. En vingt ans, leur nombre a augmenté de 80 % ; mais celui des accouchements de 10 % seulement… On comprend leur empressement à vouloir pallier la pénurie de gynécologues médicaux et à étendre leurs activités à tous les âges de la vie génitale féminine, tout en alimentant discrètement un gynéco bashing très tendance ces derniers temps. Et pour des raisons strictement économiques, cette promotion ne devrait pas déplaire aux autorités. Le hic, c’est que la formation des sages-femmes se limite à la mise au monde des enfants. Tout le reste – à savoir les pathologies propres aux femmes de la naissance au grand âge – est censé s’acquérir par des diplômes universitaires, formations payantes de vingt et un jours, aux taux de réussite proches des élections de Kim Jong-un. Sans parler des sages-femmes belges qui, elles – toujours en vertu de la fameuse harmonisation -, peuvent exercer en France après une formation de… trois ans !
Il y a des jours où, finalement, je suis bien content de n’avoir qu’une prostate à surveiller…