Pénurie de médicaments : un fléau dangereux et mal combattu
En 2017, 530 médicaments ont été signalés en rupture, 10 fois plus qu’il y a 10 ans. Le Sénat s’en inquiète, mais ses propositions restent bien timides.
Par François Malye
Avec 530 signalements de rupture en 2017, soit dix fois plus qu’il y a dix ans, c’est un record qui a été battu. Le phénomène est devenu « chronique » pour les officines et les pharmacies d’hôpitaux et touche de nombreux produits : anti-infectieux, anticancéreux, anesthésiants, médicaments du système nerveux central et dérivés du sang. Le rapport cite plus précisément un antibiotique comme l’amoxicilline, le vaccin contre l’hépatite B, l’antiparkinsonien Sinemet, des médicaments utilisés en pédiatrie, dans le traitement du cancer de la vessie ou du lymphome ainsi que des antiépileptiques. Et l’indisponibilité ponctuelle touche aussi bien les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MIMT) que d’usage quotidien. À Gustave-Roussy, centre de lutte contre le cancer, ce sont 69 lignes de médicaments qui sont quotidiennement en rupture ou en tension. À l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, chaque jour, 80 à 90 médicaments sont en situation de pénurie, soit 10 fois plus qu’en 2007 et entraînent « une déstabilisation quotidienne des services ».
Une industrie délocalisée
Raison de ces ruptures de stock et d’approvisionnement à répétition ? Une industrie de plus en plus délocalisée en Asie, ce qui entraîne une « fragilité croissante de la chaîne de production » se répercutant sur la distribution. Qu’un grand laboratoire chinois ou indien connaisse une panne, voie sa production affectée par une catastrophe naturelle… et aussitôt, c’est l’effet domino, un enchaînement qui peut aboutir à des pénuries en France pouvant durer plusieurs semaines. Le phénomène touche l’ensemble des pays du monde.
Si en 2017, la loi a créé une obligation légale pour les laboratoires de mettre en place des plans de gestion de pénurie des MIMT, on est encore loin du compte tout comme la coopération européenne et internationale qui reste « embryonnaire ».
Autres facteurs aggravants pour la France, l’effondrement de sa production pharmaceutique : sur 206 médicaments autorisés par l’EMA entre 2012 et 2016, 16 ont été produits en France, 65 en Allemagne, 57 au Royaume-Uni. Et le marché n’y est pas attractif pour les fabricants en raison des prix bas pratiqués, ceux-ci privilégiant la vente aux pays où les prix des médicaments sont les plus rémunérateurs. Le tout est aggravé par un manque d’information et de transparence pour les citoyens, mais aussi pour les acteurs de la chaîne de production et de distribution qui alimente « la défiance entre ses acteurs qui se suspectent mutuellement de pratiques de nature à alimenter les pénuries ».
Des propositions timides
Les propositions des sénateurs, qui se veulent « chocs », paraissent bien timides : incitations fiscales pour relancer la fabrication en France, créer un pôle de production public de certains médicaments essentiels critiques reposant sur la pharmacie centrale des armées et l’Ageps (Agence générale des équipements et produits de santé), revoir la dimension des appels d’offres des établissements de soins dans le but de sécuriser les approvisionnements, laisser aux pharmaciens la possibilité de proposer une alternative thérapeutique en cas d’absence du médecin, enfin « renforcer les obligations éthiques des entreprises pharmaceutiques ».