Police de sécurité du quotidien: des policiers regrettent une « consultation de façade »
Que pensent les forces de l’ordre de la « police de sécurité du quotidien », nouvelle police « sur-mesure » vantée par le gouvernement ? Sollicités par questionnaire à quelques semaines de son expérimentation, des policiers et gendarmes évoquent « une consultation de façade » sur un dispositif encore flou.
« Il n’y a pas de policiers et de gendarmes suffisamment affectés aux missions de voie publique » : « tout à fait d’accord ? » « plutôt d’accord ? », « plutôt pas d’accord ? », « pas d’accord ? », « ne se prononce pas »: un questionnaire avec une cinquantaine d’entrées a été adressé mi-novembre aux 250.000 forces de l’ordre. Les consultations, qui devaient s’achever ce jeudi, ont été prolongées jusqu’au 10 décembre.
Dispositif-clé du chantier sécuritaire ouvert par le président Emmanuel Macron, la police de sécurité du quotidien, dite « PSQ », vise à déconcentrer certaines décisions et associer plus étroitement les maires, la justice, la police municipale ou encore les services sociaux.
Sur fond de vif mécontentement des policiers sur leurs conditions de travail, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a promis dans le cadre de la PSQ, 30.000 véhicules livrés d’ici cinq ans, 60.000 gilets pare-balles et 115.000 tablettes numériques d’ici fin 2018…
« Je suis arrivé à la fin du questionnaire et je me suis dit +ah bon c’est que ça ?+ Je m’attendais à ce qu’on rentre vraiment dans le coeur des problèmes, et là ça reste complètement superficiel », regrette sous le couvert de l’anonymat un policier affecté dans l’Essonne.
« L’administration fait ça pour se donner bonne conscience et se dire : +c’est bon, on a consulté la base+. La PSQ pour l’instant c’est une coquille vide, il n’y a pas d’idée derrière et c’est pas avec ce questionnaire qu’on va en avoir », s’agace-t-il.
Selon un policier des Yvelines, certains remplissent le questionnaire en dénonçant pêle-mêle dans l’espace réservé aux commentaires personnels « le manque de considération, de moyens, d’effectifs. D’autres n’en ont clairement rien à faire, ils se disent que de toute façon c’est qu’une consultation de façade ».
« Les policiers en ont carrément rien à faire, je pense qu’ils n’adhèrent pas au projet, ce n’est pas la priorité », renchérit un policier du même commissariat des Yvelines. A Paris, un jeune agent n’est même pas au courant de l’existence du questionnaire, aux réponses anonymes.
« Énième réforme »
A l’issue de cette concertation qui doit aussi impliquer associations d’élus, représentants de l’autorité judiciaire, experts, la PSQ doit être expérimentée dans une quinzaine de sites début 2018. Une trentaine de villes se sont portées candidates (Lille, Lens, Roubaix, Toulouse, Aulnay-sous-Bois…)
Le gouvernement insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de rétablir la police de proximité, symbole de la politique sécuritaire de Lionel Jospin, brutalement supprimée par Nicolas Sarkozy.
« Il n’y a pas grand chose sur le rapport police-population, rien sur le contrôle au faciès », critique un gradé du ministère de l’Intérieur.
En première ligne depuis 2015 dans la lutte anti-terroriste, accusés de violences lors de plusieurs interpellations et pendant les manifestations contre la loi Travail, victimes d’agressions spectaculaires, les forces de l’ordre se disent sous pression depuis quelques années.
« La démarche est bonne à la base », tempère un cadre de la préfecture de police de Paris, « mais on marche sur des oeufs. On ne veut déplaire à personne (syndicats, politiques, administratifs…) ».
Selon un gendarme basé en Isère, « c’est toujours bon de consulter pour avoir l’avis de ceux qui sont sur le terrain. Ça permet de sortir certains problèmes dont les gens n’ont pas conscience dans leur bureau ».
Un de ses collègues de Saint-Marcellin estime aussi que la démarche est « bien perçue » sur le terrain, le questionnaire « permet de remettre une couche sur les mesures qui ne sont pas appliquées ou pas entièrement, comme la prise en charge des transfèrements des détenus par l’administration pénitentiaire ».
« C’est une énième réforme, nos collègues ont l’habitude des réformes qui ne sont pas abouties », juge néanmoins Patrice Ribeiro du syndicat Synergie-Officiers.
Selon Jean-Claude Delage, du syndicat majoritaire Alliance, « avant de vendre un produit, la PSQ, il faut régler ce que les policiers attendent depuis des années: la simplification de la procédure pénale, le recentrage sur leur coeur de métier ».
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30/11/2017 15:51:20 – Paris (AFP) – © 2017 AFP