Polices municipales : des effectifs plus importants pour plus de missions
La loi du 15 avril 1999 a donné un nouvel essor aux polices municipales. Jusqu’au début des années 2010, le débat portait sur leur doctrine d’emploi : proximité ou sécurité ? Aujourd’hui, ce n’est plus tant leur utilité qui fait débat que le manque de contrôle et d’évaluation ou encore l’usage de nouvelles technologies.
La multiplication des polices municipales est un phénomène récent. La loi du 15 avril 1999(nouvelle fenêtre) met en place leur cadre actuel et assure leur reconnaissance comme un élément important du paysage sécuritaire français.
En 2020, selon le Mémento policiers municipaux et gardes champêtres(nouvelle fenêtre), les polices municipales comptent 24 221 agents (contre 19 405 en 2012), auxquels s’ajoutent 701 gardes champêtres et 8 126 agents de surveillance de la voie publique (ASVP).
Parmi ces agents, 19 307 sont armés (catégories d’armes B, C et D(nouvelle fenêtre)), dont 14 149 dotés d’une arme de catégorie B.
Cela représente 3 681 services ainsi répartis :
- 2 586 de 1 à 4 agents (70,2%) ;
- 617 de 5 à 10 agents (16,8%) ;
- 478 de plus de 10 agents (13%).
Une multiplication des polices municipales
La police nationale est une institution relativement récente créée par la loi du 9 juillet 1966(nouvelle fenêtre). Les polices municipales sont bien plus anciennes. La loi du 6 avril 1884(nouvelle fenêtre) répartit les pouvoirs de police entre maires et préfets en fonction de la population des communes. Cette organisation changera peu jusqu’à l’ordonnance du 16 novembre 1944(nouvelle fenêtre), qui rétablit la direction générale de la sûreté nationale et pose les jalons d’une police d’État.
Évolution récente des polices municipales
Plusieurs rapports préfigurent l’évolution récente des polices municipales. Dès 1983, le rapport Bonnemaison préconise « une utilisation nouvelle des polices municipales » avec un statut particulier et une formation adaptée, sous la condition de leur conserver un « caractère supplétif et d’affecter les gardiens à des tâches locales d’exécution« .
La loi du 15 avril 1999 donne le cadre moderne des polices municipales, dans un pays où l’État a le monopole des missions de police. Dès 2011, un rapport de la Cour des comptes sur l’organisation et la gestion des forces de sécurité publique constate leur forte progression. Les débats de la décennie 2000-2010 portent avant tout sur la raison d’être de ces polices et leur doctrine d’emploi (proximité ou sécurité, suppléer ou assister – voire se substituer à – la police nationale).
La loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale étend les pouvoirs des polices municipales et crée le cadre légal pour que la ville de Paris puisse s’en doter. La mutualisation entre villes des policiers municipaux est facilitée. Les dispositions relatives à l’usage de drones ou à la vidéoprotection censurées par le Conseil constitutionnel, qui peuvent aussi concerner les polices municipales, sont réécrites par la loi du 24 janvier 2022 sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure.
Une évolution plus qualitative que quantitative
La Cour des comptes actualise son analyse dans un rapport d’octobre 2020 sur les polices municipales. Les polices municipales sont « durablement installées comme une composante utile, voire indispensable, de la sécurité publique« .
Les effectifs ont augmenté entre 2010 et 2018 (+18%, contre +3% pour la police et la gendarmerie nationales), moins cependant qu’entre 2002 et 2010 (+35%). À Cannes, en termes d’effectifs, les services de police municipale sont presque à parité avec la police nationale.
Les polices municipales restent un phénomène urbain, particulièrement en Île-de-France (17% des policiers municipaux du territoire national) et sur l’arc méditerranéen (26%). Leur répartition géographique n’est pas homogène.
Les municipalités refusant de s’en doter sont de plus en plus rares. Brest est la dernière ville de plus de 100 000 habitants à ne pas disposer d’une police municipale. Sur les 19 800 communes de moins de 500 habitants, seules quinze disposent d’une police municipale (effectifs d’un ou deux agents).
Les missions et les capacités d’agir se sont élargies. L’armement s’est banalisé : 53% des policiers municipaux sont dotés d’une arme à feu. L’armement létal est majoritaire. L’usage de la vidéoprotection est largement répandu et ne fait plus guère débat, contrairement à celui de nouvelles technologies, sans cadre juridique adapté jusqu’à la loi du 24 janvier 2022, qui réécrit certaines dispositions de la loi du 25 mai 2021 relatives aux drones ou à l’usage de la vidéo qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel.
Des polices de substitution ?
La Cour des comptes relève dans son rapport de 2020 que les « polices municipales tendent à s’assimiler aux unités de voie publique de la police nationale, au-delà du partage des tâches initialement prévu par les conventions de coordination ».
La convention de coordination
Dès que l’effectif d’une police municipale comporte au moins trois agents (ou à la demande du maire si l’effectif est moindre), une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État(nouvelle fenêtre) est conclue entre :
- le maire de la commune ;
- le représentant de l’État dans le département ;
- le procureur de la République.
La convention de coordination détermine :
- les missions complémentaires prioritaires, notamment judiciaires, confiées aux policiers municipaux ;
- la nature et les lieux de leurs interventions, en fonction de leur équipement et de leur armement ;
- les modalités de coordination avec la police et la gendarmerie nationales ;
- la doctrine d’emploi du service de police municipale.
Une annexe du code de la sécurité intérieure détermine les clauses d’une convention type(nouvelle fenêtre).
En 2018, à Nice, la police nationale est intervenue 71 fois pour tapage nocturne, contre 180 en 2014. Dans le même temps, la police municipale est intervenue 442 fois en 2018, contre 31 en 2014.
Selon la Cour des comptes, « l’effet de substitution semble se vérifier partout où la police municipale compte un effectif nombreux et fonctionne selon une doctrine d’emploi privilégiant l’intervention« , quand bien même, par exemple, aucune convention de coordination ne mentionne les tapages nocturnes.
Les forces de l’État, si elles manquent de moyens, délèguent volontiers les missions de tranquillité du quotidien aux polices municipales, dont elles considèrent que c’est l’apanage.
Cela s’accompagne d’un glissement des polices municipales (surtout celles axées sur l’intervention) vers les missions traditionnelles de la police et de la gendarmerie nationales. Certaines municipalités ont placé leur police municipale en position primo-intervenante en cas d’attentat (les écoles de Clamart contactent directement la police municipale en cas d’alerte attentat).
Cette assimilation cesse où s’arrêtent les compétences juridiques des policiers municipaux. Ce développement conduit les forces de l’État à s’appuyer de plus en plus sur les polices municipales, au risque de créer une relation de dépendance.
Pouvoir du maire et doctrine d’emploi
Selon le code de la sécurité intérieure (CSI), « le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique et de prévention de la délinquance« (art. L132-1(nouvelle fenêtre)), sauf en cas d’accident, de sinistre ou de catastrophe dont les conséquences peuvent dépasser les limites ou les capacités d’une collectivité territoriale.
Il convient donc de distinguer la police municipale, en tant que pouvoir des maires, et les polices municipales, en tant que services municipaux regroupant des agents exécutant les tâches relevant de la compétence des maires et sous leur autorité.
Le code de la sécurité intérieure ne donne pas de règle relative à la création d’une police municipale. Ce sont donc les règles de droit commun relatives à la création d’un service municipal qui s’appliquent.
Un pouvoir du maire
Les maires et leurs adjoints ont la qualité d’officier de police judiciaire(nouvelle fenêtre). Le code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’État qui y sont relatifs » (art. L2212-1(nouvelle fenêtre)).
Le CGCT ajoute : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » (art. L2212-2(nouvelle fenêtre)).
Cela comprend notamment :
- la sûreté, la commodité du passage et la propreté des voies publiques ;
- la démolition ou la réparation des édifices funéraires menaçant ruine ;
- la répression des atteintes à la tranquillité publique ;
- le maintien du bon ordre dans les endroits de grands rassemblements ;
- l’inspection sur la fidélité du débit des denrées vendues au poids ou à la mesure et sur la salubrité des comestibles exposés en vue de la vente ;
- le soin de prévenir et faire cesser accidents, fléaux calamiteux, pollutions et de pourvoir aux mesures d’assistance et de secours ;
- les mesures nécessaires contre les personnes atteintes de troubles mentaux ;
- le soin de remédier aux événements fâcheux occasionnés par des animaux malfaisants ou féroces.
Les attributions des policiers municipaux
Le CSI dispose que « les agents de police municipale exécutent, dans la limite de leurs attributions et sous son autorité, les tâches relevant de la compétence du maire que celui-ci leur confie en matière de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques » (art. L511-1(nouvelle fenêtre)). À ce titre, ils sont agents de police judiciaire adjoints(nouvelle fenêtre) et ont pour missions, sans préjudice de la compétence générale de la police et de la gendarmerie nationales :
- de seconder les officiers de police judiciaire ;
- de rendre compte des crimes, délits ou contraventions à leurs chefs hiérarchiques ;
- de constater les infractions à la loi pénale et de recueillir tous renseignements en vue d’en découvrir les auteurs ;
- de constater par procès-verbal les contraventions au code de la route(nouvelle fenêtre) et les outrages sexistes(nouvelle fenêtre).
Les fonctions d’agent de police municipale ne peuvent être exercées que par des fonctionnaires territoriaux recrutés à cet effet(nouvelle fenêtre).
Policier municipal et ASVP : quelles différences ?
Les ASVP sont des agents communaux chargés d’une mission de police(nouvelle fenêtre), à distinguer des agents de police municipale.
Les ASVP ne relèvent pas d’un cadre d’emplois spécifique de la fonction publique territoriale, contrairement aux agents de police municipale.
Ce sont des agents à qui sont confiées certaines fonctions de police judiciaire. Ils ne se voient pas attribuer une mission générale de police administrative reconnue par une disposition législative ni ne sont agents de police judiciaire adjoints.
Plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’un policier municipal puisse porter une arme :
- il doit être formé à cet effet ;
- il doit y être nominativement autorisé par le représentant de l’État dans le département sur demande motivée du maire ;
- une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’État doit être établie ;
- le préfet délivre à la commune un arrêté d’autorisation d’acquisition et de détention pour les armes(nouvelle fenêtre) correspondant aux autorisations individuelles de port d’arme pour une durée maximale de cinq ans.
Dans le cadre de leurs missions et revêtus de leur uniforme, les agents de police municipale ne peuvent faire usage de leur arme qu’en cas de légitime défense(nouvelle fenêtre), de manière nécessaire et proportionnée à la gravité de l’atteinte aux personnes ou aux biens.
En 2018, un rapport de l’Assemblée nationale sur le continuum de sécurité suggère d’armer obligatoirement les policiers municipaux, « sauf décision motivée du maire ».
Choix politique et doctrine d’emploi
Les communes sont libres de créer ou pas une police municipale. Elles en définissent la taille et la doctrine d’emploi. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2020, « la police municipale est surtout l’expression d’un choix politique, qui ne dépend pas nécessairement du niveau de délinquance constaté localement« .
En 2018, les effectifs de la police municipale de Beauvais (45) sont bien supérieurs à ceux de la police municipale de Creil (15), quand le taux de criminalité y est inférieur (6,85 pour 100 habitants, contre 15,22).
Les polices municipales de proximité et de prévention, comme celle de de Cluses(nouvelle fenêtre) (Haute-Savoie), sont cantonnées à :
- la surveillance de l’espace public ;
- la régulation de la circulation ;
- la verbalisation du stationnement ;
- le dialogue et l’assistance aux personnes.
Les polices municipales de proximité et de répression, comme celle d’Hénin-Beaumont(nouvelle fenêtre) (Pas-de-Calais), ont une doctrine d’emploi interventionniste :
- lutte contre la délinquance ;
- partenariat assumé avec la police nationale ;
- travail de nuit avec la brigade anticriminalité ;
- utilisation de leurs moyens à des fins d’interpellation.
La convention de coordination de la police municipale de Cannes prévoit que la police nationale peut « solliciter l’engagement des patrouilles de police municipale sur des événements particuliers de leur compétence ou en renfort des unités de police ».
Une grande majorité de polices municipales a désormais recours à la vidéoprotection.
Selon le rapport de la Cour des comptes, la diversité des doctrines d’emploi se manifeste au-delà d’un socle d’attributions communes à l’ensemble des polices municipales, propres à la tranquillité publique. Elle est donc à relativiser. Les polices municipales sont devenues les principales forces de tranquillité publique.
Gestion et évaluation nationales
Selon un rapport du Sénat sur l’ancrage territorial de la sécurité intérieure, « le maire est et doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune« . Cette exigence figure dans le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020.
Les polices municipales, selon le rapport sur le continuum de sécurité, s’inscrivent dans une coproduction de la sécurité et sont désormais reconnues comme la troisième force de sécurité, après la police et la gendarmerie nationales, comme l’ont montré la crise sanitaire ou celle des Gilets jaunes. L’effort financier que consentent les communes est conforme à cette perception nouvelle des polices municipales.
Effort financier et filière d’emploi
D’après le rapport de la Cour des comptes de 2020, l’engagement financier des collectivités territoriales dans le champ de la sécurité augmente mais ne fait l’objet d’aucune évaluation globale.
En 2018, selon l’association Villes de France(nouvelle fenêtre), le budget annuel moyen d’une police municipale est évalué à 880 000 euros (de 100 000 euros à 3 millions d’euros pour les effectifs les plus importants). En 2019, le budget de la police municipale de Marseille représente 24 millions d’euros.
Les dépenses sont essentiellement dues à la masse salariale des policiers municipaux. En dehors des dépenses liées à l’acquisition de gros équipements ou de projets immobiliers (stand de tir), les dépenses d’équipement sont faibles. Les investissements représentent 215 000 euros en moyenne annuelle, dont 198 000 euros liés à la vidéoprotection.
Près de 90% des policiers municipaux appartiennent au cadre d’emplois de la catégorie C. Les candidats au grade de gardien-brigadier, premier grade du cadre d’emplois dans la police municipale, doivent posséder un diplôme de niveau 3(nouvelle fenêtre) (anciennement V : BEP, CAP).
La formation des policiers municipaux est assurée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT)(nouvelle fenêtre) et financée par les collectivités territoriales, qui lui versent 0,9% de leur masse salariale. Selon le rapport de la Cour des comptes, cela représente 24,7 millions d’euros pour le CNFPT en 2018.
Une politique de l’État peu active vis-à-vis des polices municipales
Selon la Cour des comptes, l’État jusqu’à présent s’est abstenu de définir une politique vis-à-vis des polices municipales. Le ministère de l’intérieur reste neutre, invoquant :
- le libre choix des maires ;
- l’adaptation aux réalités locales.
Le ministère de l’intérieur refuse d’autant moins d’assumer le retrait des forces de sécurité intérieures du champ de la tranquillité publique que là où une police municipale est en place « un service équivalent est rendu à la population par des forces locales équipées et compétentes« , selon la Cour des comptes.
Les forces nationales doivent dans le même temps s’appuyer de plus en plus sur des équipages municipaux dans une mission de lutte contre la délinquance qu’elles remplissent imparfaitement, faute de moyens.
Les conventions de coordination sont en décalage avec la réalité des interventions quotidiennes des polices municipales. Elles devraient préciser plus la répartition des rôles entres les différentes forces.
Selon le rapport du Sénat précité, si les manquements aux règles déontologiques des polices municipales sont limités, c’est dû en partie à la faiblesse de leurs pouvoirs de contrainte. Mais l’extension de leur champ d’intervention et de leur armement pose la question du pouvoir de contrôle externe de l’État, aujourd’hui insuffisant.
Une concertation et une évaluation nationales limitées
Si la police municipale est un pouvoir du maire, la Cour des comptes souligne que l’encadrement des moyens et des prérogatives des polices municipales suppose une intervention du législateur ou du pouvoir réglementaire.
Le suivi des polices municipales est assuré par différents services de l’État :
- la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques(nouvelle fenêtre) (DLPAJ, ministère de l’intérieur), qui détermine le cadre juridique relatif à leurs moyens et à leurs pouvoirs. Elle s’appuie sur les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, qui recensent entre autres les effectifs d’agents municipaux ;
- la Direction générale des collectivités locales(nouvelle fenêtre) (DGCL, ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales), associée à l’élaboration des textes concernant les compétences des agents de police municipale, les différentes catégories de personnel ;
- la Délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité(nouvelle fenêtre) (DPSIS, ministère de l’intérieur), qui suit les travaux d’avancement concernant les polices municipales et assure le dialogue avec les organisations syndicales de la profession.
Une commission consultative des polices municipales (CCPM)(nouvelle fenêtre), créée par la loi de 1999, est composée de maires, de représentants de l’État de représentants d’organisations syndicales.
Elle est obligatoirement consultée sur :
- la carte professionnelle ;
- la tenue et les équipements ;
- le code de déontologie ;
- en amont de toute procédure d’inspection diligentée par le ministre de l’intérieur.
Si la CCPM a permis d’acter des évolutions importantes (emploi de caméras piétons, obligation de formation pour le port d’armes de catégorie D…), elle se réunit trop rarement sur des sujets qui peuvent relever d’autres instances.
Elle est le seul organe de dialogue entre maires, État et représentants syndicaux mais ne se réunit qu’une seule fois par an. Les évolutions récentes(nouvelle fenêtre) dans les prérogatives des polices municipales ont été introduites sans son intervention (palpations de sécurité, filtrage de l’accès aux périmètres de protection).