Ils n’en peuvent plus d’être mis à toutes les sauces et de servir de cibles vivantes aux terroristes et à l’ultra-gauche. Ils n’en peuvent plus des cadences infernales et des heures supplémentaires qui se succèdent aux dépens de leur vie familiale. Ils n’en peuvent plus des réformes mises en place à chaque changement de gouvernement, pour la glorification d’un ministre de l’Intérieur qui ne fera que passer. Ils n’en peuvent plus d’être cloués au pilori à chaque interpellation qui dégénère. Ils n’en peuvent plus, enfin, d’une hiérarchie qui les envoie au casse-pipe, au seul bénéfice des chapeaux à plumes qui les commandent.
Sans doute le suicide de trois policiers, à Dunkerque, Quimper et Lambersart, en ce tout début d’année 2018 relève-t-il de facteurs complexes et multiples. Mais une chose est certaine : la police nationale est malade, et cette maladie touche tous les niveaux hiérarchiques. Elle est, tout d’abord, malade d’un suremploi né d’une menace terroriste qui dure maintenant depuis plusieurs années. Incapables de voir venir la menace, les gouvernements qui viennent de se succéder, alors qu’il aurait fallu renforcer notre dispositif sécuritaire, l’ont au contraire affaibli en procédant à des diminutions drastiques d’effectifs et en n’anticipant pas le renouvellement des moyens matériels indispensables aux missions de sécurité publique. Elle est malade, ensuite, d’un grave défaut d’organisation, qui a vu peu à peu la chaîne hiérarchique se disloquer au détriment d’une cohésion qui était pourtant indispensable dans le contexte de violence inégalée que notre pays connaît. Elle est malade, enfin, d’un manque de reconnaissance qui veut qu’une présomption de culpabilité systématique pèse sur les policiers lorsque, au péril de leur vie, ils interviennent dans des conditions toujours plus dangereuses.
Oui, c’est une grave crise d’identité qui secoue désormais la police nationale. Et nombreux sont les policiers qui ont de plus en plus de mal à comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent. Entre menace terroriste et violences urbaines. Entre police du quotidien et chasse aux trafiquants de tous poils. Entre missions de police-secours et obligation de supporter les injures et les dénigrements, ils ont le sentiment de n’être plus que les laquais d’une société qui les marginalise et les fusibles de politiques qui les exploitent.
L’année 2017 qui vient de s’achever avait vu le nombre des suicides dans la police augmenter de manière significative. 49 policiers – mais aussi 16 gendarmes – avaient mis fin à leurs jours, faisant des dizaines d’orphelins pour une cause à laquelle il leur devient de plus en plus difficile de croire. Que pèse, en effet, dans un monde d’indifférence et d’individualisme, le don de soi ? Pas grand-chose au regard de la destruction et du malheur d’une famille. Et pourtant, ils sont encore là, par milliers, pour continuer à se battre pour notre bien-être quotidien. Alors n’est-il pas grand temps, au lieu d’élaborer des projets ineptes et déconnectés de la réalité, telle cette police de sécurité du quotidien dont on sait à l’avance à qui elle profitera, d’entamer une vraie réflexion sur la nécessaire recomposition d’une institution à laquelle on demande toujours plus.
Entre 2005 et 2017, ce sont pas moins de 790 policiers qui se sont suicidés. Le plus souvent dans l’indifférence générale. C’est pourtant, par leur geste désespéré, un message fort qu’ils ont voulu faire entendre. Alors, allons-nous rester sourds encore longtemps ?