Policiers tués à Magnanville: pourquoi les enquêteurs croient tenir un « deuxième homme »
Son ADN sur les lieux, un rôle de « mentor religieux » et désormais le récit troublant du fils des victimes : soupçonné d’avoir participé au double assassinat jihadiste de policiers à Magnanville en 2016, Mohamed Aberouz nie toute implication malgré les indices qui s’accumulent.
Sa mise en examen le 11 décembre pour « complicité d’assassinats terroristes » a bouleversé ce dossier, jusqu’ici présenté comme celui d’un attentat solitaire : le 13 juin 2016, Larossi Abballa, 25 ans, assassinait au nom du groupe Etat islamique (EI) un policier et sa compagne dans leur pavillon des Yvelines, sous les yeux de leur fils de 3 ans et demi.
Deux suspects radicalisés avaient rapidement été mis en examen : Charaf Din Aberouz, 32 ans – grand frère de Mohamed – et un autre homme, tous deux condamnés en 2013 aux côtés d’Abballa dans une filière afghano-pakistanaise de recrutement au jihad. Mais les enquêteurs ne retenaient pas leur complicité directe dans l’attaque, conduisant les juges à lever leur détention provisoire.
En revanche, le cadet des frères Aberouz est devenu à leurs yeux un « mentor religieux » de Larossi Abballa et « co-auteur et inspirateur » de l’attaque, selon une synthèse de la Sous-direction antiterroriste (Sdat) dont l’AFP a eu connaissance.
Entendu en avril en garde à vue, Mohamed Aberouz, 24 ans, était ressorti libre, faute de preuves. Mais à la fin de l’été, les policiers ont fait un rapprochement entre son profil génétique et l’ADN retrouvé « sur le repose-poignet droit de l’ordinateur » du couple de policiers.
Le soir du crime, Abballa s’était servi de cet ordinateur pour diffuser sa revendication, en direct, sur les réseaux sociaux.
L’appareil avait été allumé à 19H13, une dizaine de minutes après l’heure probable où Jessica Schneider, 36 ans, avait été égorgée. Une heure plus tard, à 20H20, son compagnon Jean-Baptiste Salvaing, 42 ans, commissaire adjoint aux Mureaux, était assassiné à son tour à coups de couteau devant chez lui.
Retranché dans la maison avec le bambin, l’assassin avait été abattu vers minuit dans l’assaut du Raid. Mais aucune trace d’un deuxième homme. Aurait-il pu s’échapper?
L’enfant, seul témoin
Mohamed Aberouz « est catégorique sur le fait qu’il n’était pas présent et qu’il a encore moins participé à un attentat d’une rare atrocité qu’il condamne fermement », répondent à l’AFP ses avocats. « La preuve ADN n’est pas infaillible », estiment Mes Vincent Brengarth et Bruno Vinay, qui comptent demander une nouvelle expertise.
Selon les enquêteurs, Mohamed Aberouz a assuré que ce jour-là « il n’avait quitté son domicile que pour se rendre à la mosquée aux heures de prière », en plein Ramadan.
Entre 17H57 et 20H46, son téléphone borne près de son domicile des Mureaux, à 20 km de Magnanville, mais les enquêteurs ne relèvent aucun signe d’activité d’un utilisateur jusqu’à 20H02 et font l’hypothèse qu’il a pu laisser chez lui l’appareil, souvent mis à disposition de sa fratrie.
Les policiers, citant des écoutes et la documentation jihadiste retrouvée chez les deux amis d’enfance, estiment avoir établi qu’ils « adhéraient aux thèses de l’EI ». Par ailleurs, ils ont relevé plusieurs similitudes entre la revendication vidéo d’Abballa et un texte découvert au domicile des Aberouz.
Les deux amis ont eu successivement la même promise : Sarah Hervouët, mise en examen pour une tentative d’attentat aux bonbonnes de gaz en 2016 à Paris, où Mohamed Aberouz est poursuivi pour « non-dénonciation ».
Si le jeune homme a fini par reconnaître sa grande proximité avec Abballa, ce dernier « avait dissimulé sa radicalisation à son entourage et n’a prêté allégeance à l’EI que très peu de temps avant les faits », selon les avocats.
Autre élément troublant, révélé par Le Parisien: au cours de jeux devant une psychologue, l’enfant a, depuis début 2017, plusieurs fois mis en scène deux figurines de « méchants ». Mais si l’un finissait toujours tué, le garçonnet ne faisait pas mourir l’autre, car selon lui « les gentils ne pouvaient ni l’interpeller ni le tuer », rapporte la spécialiste.
C’est « le rôle de l’autorité judiciaire que de prendre le maximum de précautions avec le témoignage de mineurs », insistent les avocats de la défense, « surtout lorsqu’ils ont vécu l’horreur, et bien sûr d’éviter toute orientation, même pas nécessairement volontaire, des questions ».