Juriste

Une nouvelle ONG militante anti-tabac, l’ENSP (European Network for Smoking and Tobacco Prevention), vient d’être mise KO debout à Bruxelles, la Commission ayant décidé de ne pas renouveler sa subvention pour 2018. Son tort ? S’être opposée un peu trop farouchement au projet d’actes délégués de la directive tabac, dont le texte, en l’état, fait le jeu des fabricants. Le système de traçabilité des cigarettes est placé entre les mains des cigarettiers eux-mêmes, pourtant premiers acteurs de la contrebande. Une preuve, s’il en fallait encore, de la soumission totale des technocrates européens à Big Tobacco et son lobby surpuissant.

L’ENSP fait partie des trois principales ONG bruxelloises militant contre les cigarettiers. Leur souhait ? Que la directive tabac de la Commission soit conforme au protocole de l’OMS, qui vise à uniformiser les réglementations en matière de lutte contre le trafic illicite de cigarettes. Et préconise, notamment, que la traçabilité des cigarettes soit totalement indépendante des fabricants (autrement dit, qu’ils n’en soient pas responsables). Les deux autres ONG, pourtant très actives jusqu’alors, se sont tues. Silence étrange, alors que le texte concocté par la Commission pave la voie aux cigarettiers.

Ces derniers pourront ainsi choisir d’apposer eux-mêmes les codes de traçabilité des produits ou de recourir à des prestataires « indépendants de leur choix » (sic). Ironique, lorsqu’on sait que le trafic de cigarettes est, dans bien des cas, organisé par les cigarettiers eux-mêmes. British American Tobacco avait, ainsi, été épinglé par les douanes britanniques pour avoir alimenté – à l’excès – le marché belge en vue de rapatrier ensuite le stock en Grande-Bretagne, où les taxes sont bien plus élevées. Une pratique de contournement de la fiscalité courante, la principauté d’Andorre en sait quelque chose : elle vend 850 tonnes de tabac par an, pour une consommation nationale estimée à 120 tonnes. En France, combien de petits commerçants frontaliers ont-ils été obligés de mettre la clé sous la porte ?

Pour qu’un système de traçabilité soit conforme au droit de l’OMS et qu’il permette de réduire le commerce parallèle de tabac, il est nécessaire qu’il soit géré de manière indépendante, par un organisme distinct des fabricants et sous contrôle des autorités publiques. C’est le système qui existe déjà dans plusieurs États et qui est plébiscité par l’OMS. Pour l’avoir rappelé au bon souvenir des commissaires et députés européens, l’ENSP a perdu ses subventions. La Commission laisse ainsi sur le carreau les dix-huit membres actifs de cette ONG. De quoi expliquer le silence assourdissant des autres ONG anti-tabac ?

Le seul espoir reste l’action du Parlement européen, en dernier recours, pour poser son veto à l’entrée en vigueur des actes délégués. Il l’a déjà fait en 2016 à l’occasion de deux votes, en s’opposant à l’accord de coopération qui confiait à Philip Morris la responsabilité de tracer ses cigarettes et au moment de la ratification du Protocole de l’OMS. Jamais deux sans trois ?