Pourquoi la légalisation du cannabis récréatif en Californie s’annonce plus compliquée que prévu
La vente et la consommation de cannabis récréatif sont autorisées en Californie depuis le 1er janvier. Avec près de 40 millions d’habitants, le « Golden State » devient ainsi le plus gros marché légal de marijuana au monde.
La ruée vers l’or vert a commencé. Quelque 200 personnes faisaient la queue devant un dispensaire d’Oakland (Californie), lundi 1er janvier, pour être parmi les premières à bénéficier de la légalisation du cannabis récréatif, rapporte le New York Times (en anglais). Cette mesure, adoptée par référendum en novembre 2016, est entrée en vigueur au premier jour de l’année 2018. Revenus colossaux mais impossibles à déposer sur un compte, opposition des communes et de l’Etat fédéral, lourdeurs administratives… Franceinfo revient sur les obstacles qui ralentissent la légalisation de cette drogue en Californie, en passe de devenir le plus gros marché mondial de cannabis.
La vente de marijuana récréative est très encadrée
La Californie est devenue, en 1996, le premier Etat américain à légaliser le cannabis médical. Jusqu’à maintenant, les Californiens devaient disposer d’une ordonnance ou d’un permis médical pour pouvoir acheter de la marijuana ou des produits dérivés. Depuis le 1er janvier, il suffit d’être âgé de plus de 21 ans pour s’en procurer, comme c’est le cas pour l’alcool. Les résidents d’autres Etats américains, où le cannabis n’est pas légal, pourront eux aussi en acheter sans craindre d’être inquiétés.
La Californie a toutefois strictement encadré la production et la vente de marijuana. Seuls les dispensaires agréés par le Bureau de contrôle du cannabis (BCC) pourront commercialiser des produits en toute légalité. Les cultivateurs et vendeurs devront se plier à des contrôles pour évaluer le taux de THC – le principe actif du cannabis –, la présence de pesticides ou d’autres contaminants, précise le Guardian (en anglais). « Nous voulons nous assurer que les substances en circulation ne contiennent ni moisissures ni métaux lourds. C’est un enjeu de santé publique », précise Alex Traverso, porte-parole du BCC, à La Croix. De plus, l’Etat compte mettre en place un programme de traçabilité du cannabis, ainsi que des mesures de protection pour éviter que les enfants n’ingèrent des psychotropes par erreur.
Chaque municipalité peut en outre ajouter des réglementations spécifiques concernant la localisation des magasins, leur nombre et leurs mesures de sécurité, détaille le Washington Post (en anglais). A San Diego, les dispensaires doivent ainsi se trouver à plus de 300 mètres des parcs et des lieux fréquentés par les enfants. A Los Angeles, la vidéosurveillance des magasins est obligatoire.
Les consommateurs doivent aussi se plier à certaines règles. Ils ne peuvent acheter qu’une once (28,3 grammes) à la fois et n’ont pas le droit de cultiver plus de six plants chez eux. Il est également interdit de consommer du cannabis dans les lieux publics ou à moins de 300 mètres d’une école, précise Le Point. La conduite sous influence de marijuana reste prohibée.
Peu de magasins ont (pour l’instant) obtenu une licence
Les Californiens qui souhaitaient acheter de la marijuana, lundi 1er janvier, devaient se lever tôt et se préparer à de longues files d’attente. Seuls un petit nombre de points de vente ont obtenu les autorisations nécessaires à la vente légale de cannabis récréatif. Le gouvernement californien n’a en effet édicté la réglementation définitive, qui précise les conditions d’emballage, de vente et de consommation, que fin novembre. De nombreux dispensaires cherchent encore, début janvier, à se mettre en règle avec la nouvelle loi.
Ceux qui ont entrepris la transition vers la légalité se heurtent à des lenteurs administratives. Le BCC (qui cherche toujours à recruter 90 fonctionnaires) n’avait délivré que 200 licences sur les 1 185 demandes effectuées avant le 1er janvier, rapporte le Washington Post. Les autorisations sont valables pour une durée de 120 jours, au-delà de laquelle les dispensaires devront obtenir un permis définitif. Les premiers magasins n’ouvriront que le 5 janvier à San Francisco, selon Le Monde, alors que la municipalité de Los Angeles n’a pas encore commencé à étudier les demandes.
Pour obtenir la précieuse licence (facturée plus de 800 euros par an), les magasins doivent en effet d’abord obtenir l’accord des communes. Mais les municipalités sont divisées. Seules 27% des 500 collectivités locales californiennes ont approuvé la vente libre de cannabis sur leur territoire, relève Le Monde. D’autres, comme Palo Alto ou National City, ont pour l’instant interdit ce commerce.
Les revenus générés sont énormes… mais ne peuvent pas être déposés à la banque
Avec plus de 39 millions d’habitants, la Californie est le plus grand marché potentiel pour le cannabis récréatif légal. The Arcview Group, un cabinet d’études spécialisé dans l’investissement autour du cannabis, estime que les ventes légales devraient rapporter plus de 500 millions d’euros en 2018. D’ici 2021, cette industrie pourrait générer 6 milliards de dollars, précisent Les Echos (article abonnés). Et ce juteux commerce pourrait rapporter jusqu’à un milliard de dollars par an au gouvernement. La vente de cannabis récréatif sera en effet lourdement taxée : la Californie ponctionnera 15% des revenus, auxquels s’ajoutera un impôt municipal fixé entre 2 et 10%.
En plus des revenus tirés de la vente, la Californie compte sur l’explosion du tourisme, indique Salon (en anglais). Les résidents d’Etats où le cannabis n’est pas légal se pressent déjà dans le « Golden State » pour consommer chocolats, huiles aromatisées et autres produits dérivés. Leslie Bocskor, qui a conseillé plusieurs Etats ayant légalisé la marijuana récréative (comme le Colorado ou l’Oregon), compare ce phénomène à celui de l’œnotourisme. « Le triangle d’émeraude [une zone de production de cannabis près de San Francisco] aura un attrait similaire à la vallée de Napa pour le vin, estime-t-il. Les gens pourront visiter les plantations, les fermes, voir comment [la marijuana] est cultivée et transformée, et tout cela dans le magnifique nord de la Californie. »
Le cannabis récréatif est une mine d’or, mais la gestion de ces revenus est complexe. La marijuana reste en effet illégale au niveau fédéral, ce qui empêche producteurs et vendeurs de placer leur argent sur un compte en banque. Les transactions sont payées en espèces et les bénéfices conservés dans l’arrière-boutique. Pour payer leurs impôts, les vendeurs sont donc contraints de transporter d’importantes sommes en liquide dans des fourgonnettes blindées, rapporte Le Monde. Le gouverneur de Californie, Jerry Brown, a toutefois pris contact avec les représentants de 65 banques et établissements de crédit pour trouver une solution.
La Californie est dans le viseur du gouvernement fédéral
Le commerce de cannabis récréatif pourrait se heurter au gouvernement fédéral. La légalisation de la marijuana ne repose en effet que sur deux textes, souligne Le Monde. Dans un mémorandum datant d’août 2013, le ministre de la Justice de Barack Obama recommandait aux procureurs fédéraux de faire preuve de tolérance envers les individus et entreprises qui respectaient certains principes (pas de vente aux mineurs, pas de bénéfices pour les gangs ou les cartels, pas de contagion dans les Etats qui n’ont pas légalisé le cannabis…). Un amendement, promulgué en 2014, empêche en outre les procureurs fédéraux de consacrer des ressources aux poursuites contre ces entités. La mesure a été discrètement reconduite par Donald Trump, le 22 décembre 2017, dans le cadre de la ratification de la loi de finances rectificative.
Si 64% de la population américaine est favorable à la légalisation du cannabis, selon un sondage Gallup cité par Le Monde, le ministre de la Justice de Donald Trump y est fermement opposé. Une loi fédérale de 1937 interdit toujours la possession de cannabis et Jeff Sessions envisage une application plus stricte de ce texte. Les producteurs redoutent ainsi des descentes de la police fédérale, dès le mois de janvier, pour contrer l’essor de leur industrie.
La légalisation risque de ne pas séduire les acteurs du marché noir
En légalisant la marijuana récréative, la Californie espère également endiguer la croissance du marché noir. La tâche s’annonce toutefois ardue. La taxation du cannabis pourrait atteindre 45% en cumulant les taxes payées par les consommateurs, les producteurs et les vendeurs, précise CNN (en anglais). Ce taux d’imposition, bien plus élevé que dans le Colorado ou le Nevada, pourrait décourager les producteurs du marché noir de passer à la légalité. « Seuls 30% des acteurs déjà présents vont franchir le pas de la légalisation », croit savoir Kenny Morrisson, patron d’une entreprise de produits comestibles au cannabis, interrogé par le quotidien.
La lutte contre le marché noir se heurte à un autre obstacle : la nouvelle législation ne permet pas l’exportation du cannabis vers d’autres Etats. Moins de 20% des 6 000 tonnes aujourd’hui produites dans le « Golden State » sont consommées en Californie, notent Les Echos. Un autre facteur qui pourrait décourager les acteurs du marché noir à effectuer la transition vers le commerce légal de l’or vert. D’autant plus que les contrevenants seront moins inquiétés qu’auparavant par les autorités locales. Parallèlement à la légalisation du cannabis, la Californie a assoupli les sanctions pour la culture, la vente et le transport de cannabis sans permis.