Procès de Jawad Bendaoud : les deux visages de Youssef Aït Boulahcen
Au 6e jour du procès du « logeur de Daech », la défense d’Aït Boulahcen, dont la sœur a été tuée lors de l’assaut du Raid à Saint-Denis, a été ébranlée.
« Monsieur Aït Boulahcen, je ne vous ai pas cru, je ne vous crois pas », dit calmement maître Gérard Chemla en fixant le prévenu qui dissimule obstinément son visage derrière son écharpe. Il était temps… Au 6e jour de ce procès, la lumière est enfin braquée sur celui qui, faisant de « l’anti-Jawad », bénéficie grandement de la comparaison avec le guignol qui, assis non loin de lui, fait, hélas, rire les médias et sangloter de rage les victimes. Youssef Aït Boulahcen, frère d’Hasna, est le seul à comparaître libre, sous simple contrôle judiciaire, pour non-dénonciation de crime. Lui s’est exprimé clairement, posément, a répondu sans s’emporter à toutes les questions qui lui ont été posées dès le premier jour pour convaincre le tribunal qu’il ignorait qui sa sœur avait hébergé et sustenté. Et le cirque de Jawad Bendaoudavait presque fait oublier cet homme discret et policé qui, depuis les événements, a d’ailleurs changé de nom. Mais le procès le rattrape. Enfin…
Dans une démonstration minutieuse, implacable, maître Chemla détricote ce qui reste des innombrables échanges téléphoniques qui eurent lieu entre le frère et la sœur – 37 en tout ! – durant cette seule soirée du 15 novembre. Beaucoup d’éléments ont disparu, car le frère, avant de se présenter comme témoin après l’assaut du Raid, avait jeté la puce de son premier téléphone et effacé d’innombrables SMS et messages WhatsApp du second. Étrange précaution pour un homme qui n’a rien à se reprocher.
Du lait et des biscuits
Il est donc rappelé aujourd’hui que le cousin de Youssef, Abdelhamid Abaaoud, est à l’époque le djihadiste le plus recherché d’Europe et un constant sujet de discussion familiale. Il est dit que le soir du 15 novembre, Hasna appelle son grand frère immédiatement après avoir été contactée de Belgique par Mohamed Belkaid. Qu’elle le rappelle encore après avoir été mise en présence d’Abaaoud dans les buissons de la rue des Bergeries à Aubervilliers à 21 h 50. S’exprimant parfois en langage codé « à l’intention de ceux qui l’écoutent », suppose l’avocat, Youssef, dans ses innombrables échanges avec Hasna, demande à voir le « frère ». Se charge, à minuit passé, d’une brique de lait et d’un paquet de biscuits. Qui peut croire que, furieux finalement de ne pas avoir trouvé sa sœur et ses protégés, ses messages l’attestent, Youssef Haït Boulahcen n’a pas ce soir-là cherché à prêter main-forte dans ce Paris terrorisé à ceux qui venaient de commettre ces horreurs et s’apprêtaient à en commettre d’autres ? « Quand il prend rendez-vous avec Hasna, il sait qui il va voir, il sait ce qu’ils font là et que ces gens sont à ravitailler », dit l’avocat des parties civiles. « Vous vous êtes composé un personnage, Monsieur, mais vous mentez. »
L’homme enfonce plus encore la tête dans son écharpe. Et une avocate des parties civiles de rappeler cette curiosité. Le code PIN du téléphone d’Aït Boulahcen, c’est 1811. Pas sa date de naissance ni celle de sa sœur. Le 18 novembre, c’est l’assaut de Raid durant lequel Hasna est décédée avec les terroristes. Étrange hommage à la mort – aux yeux de Youssef, celle d’une martyre ? – de cette sœur pour laquelle il a pourtant dit tout son mépris durant les auditions. « Vous avez deux personnalités », dit l’avocat qui conclut l’audience. « Et vous êtes furieusement intelligent. »