Proxénétisme familial dans l’Eure. Le procès de la misère jugé à Évreux
Une sombre affaire de proxénétisme a été jugée, jeudi 14 septembre 2017, par le tribunal de grande instance d’Évreux. La tête de ce petit réseau de prostitution roumain a écopé de 24 mois de prison ferme et de 10 ans d’interdiction de territoire.
Octobre 2014. Les gendarmes repèrent, entre Angerville, Acon ou encore Nonancourt, quatre femmes. Des prostituées opérant sur les axes de population du Département.
La surveillance mise en place permet d’identifier et de loger ces prostituées. Reste à trouver la tête de ce « réseau ».
L’enquête permet d’identifier des clients, qui corroborent les faits. Des écoutes téléphoniques permettent également de situer, en Roumanie, ce qui s’avérera la « tête » de ce petit réseau. Mieux, ou plutôt pire que ça, les enregistrements révèlent que deux des quatre femmes se prostituant ne sont autres que l’épouse et la sœur de ce ressortissant roumain… Des relevés de transferts de fonds, à hauteur de plusieurs milliers d’euros, achèvent le tableau d’un proxénétisme aggravé. Sombre.
Dans le box des prévenus, accompagné par une escorte, un homme qui vient de passer un an en détention provisoire… Stan Cracius, 30 ans, trapu au visage rond. Vêtu de noir, l’homme parle avec les mains. Grimace selon l’intonation.
« C’est ma femme qui a pris la décision de se prostituer, explique-t-il. Je ne l’ai pas forcée. » Même son de cloche concernant sa sœur : « J’ai reçu de l’argent de sa part car elle m’en devait. Si elle a décidé de se prostituer pour me rembourser, elle est grande, c’est sa vie. »
Secret de famille
Les deux seules « courtisanes », présentes à l’audience (les deux autres sont introuvables), confirment ses propos. « Vos déclarations changent sans cesse, pointe Franck Dodet, le président. Lors de vos interrogatoires, vous aviez annoncé subir des pressions, de la violence. »
Au fil de cette longue audience, il est vrai qu’une apparente simplicité semble s’être instaurée ! « Je suis venu en France exprès pour la prostitution », lance d’ailleurs l’épouse, dans un blazer rouge très cintré qu’elle ne quittera pas des 7 h d’audience. « Je pensais qu’il me trompait. J’étais jalouse. C’est pour ça que j’ai annoncé qu’il me frappait ! »
Au total, quasiment 100 000 € auraient émané de ce proxénétisme familial. L’argent collecté par ce réseau a permis d’acheter un appartement en Roumanie. Ainsi qu’un kiosque à fleurs. Oui, à fleurs !
Accusées et victimes
Dans ce dossier, les deux prostituées sont, à l’audience, à la fois accusées et victimes. Accusées car le racolage (et non la prostitution) est interdit en France. Et victimes car, malgré tout, elles agissaient pour le compte d’un proxénète. Qu’il soit un mari ou un frère… À l’heure des plaidoiries, les deux avocats de l’homme pointent un casier ne faisant jamais mention de ce genre de faits. Un autre argument va dans le sens de la défense : « Quand notre client a su qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international, il s’est lui-même rendu dans un commissariat en Roumanie. »
Pour contrer la lourde peine invoquée par le Procureur, Me Rosenthal et Doukhan précisent « qu’il faut garder les peines les plus élevées pour les trafics les plus graves. Nous sommes ici dans un proxénétisme de la misère. »
Les deux avocats du barreau de Paris s’en rapportent également à la jurisprudence (1) de ce genre d’affaire. Pour eux, le Ministère Public « va trop loin en demandant une peine de quatre ans de prison ferme. »
Jugement dernier
Après quasiment 7 h d’une audience aux déclarations poussives, le jugement est rendu. Cracius Stan, le chef d’orchestre désigné de ce réseau, écope d’une peine de 24 mois de prison ferme, de son maintien en détention et d’une interdiction de territoire français de dix années.
Les deux victimes, mais aussi « complices » de ce trafic, écopent de peines allant de 3 à 4 mois de prison. Ferme également.
Jérémy Bonnet.
(1) La jurisprudence désigne l’ensemble des décisions de justice relatives à une question juridique donnée. Il s’agit donc de décisions précédemment rendues, qui illustrent comment un problème juridique a été résolu.
Pour aller plus loin. Les « logeuses » relaxées par le tribunal
Le tribunal d’Évreux a également dû juger le rôle qu’avaient pu jouer deux femmes de 47 et 70 ans. Durant le temps des faits, à des moments séparés, ces deux personnes ont hébergé les prostituées. « Jamais je n’aurai pu imaginer qu’elle se livrait à de la prostitution, lance, désabusée, l’une des logeuses. Elle quittait l’appartement le matin en robe longue ou en habits traditionnels… » Des propos confirmés par les deux intéressées, qui précisent : « Elle n’était pas au courant. » Même son de cloche pour la deuxième logeuse qui, elle, avait été aperçu déposant les femmes proches d’un rond-point. « Elles me disaient qu’elles faisaient des ménages chez des personnes, elles m’avaient même montré des immeubles à plusieurs reprises, en me disant qu’elles travaillaient ici… » Durant le procès, l’une d’elle n’a cessé de se demander : « Je me demande bien comment je suis arrivée ici ! » Au terme du procès, toutes deux sont relaxées.