Radars et 80 km/h : qui va payer la facture ?
Le réveillon de la Saint-Sylvestre s’annonce bouillant pour les radars fixes, dont moins d’un tiers serait aujourd’hui encore en état de marche.
Avec pas moins de neuf radars détruits dans la seule nuit de dimanche à lundi, aux environs d’Avignon, l’exécutif craint une récidive musclée au niveau national pour le réveillon de la Saint-Sylvestre. Habituellement, ce sont les voitures que l’on brûle dans les cités pour le passage au nouvel an, une pratique douteuse qui a encore envoyé à la casse pas moins de 1 031 véhicules le 1er janvier dernier.
Mais cette fois, l’exaspération due à la multiplication des radars les propulse au rang de victimes toutes désignées. Cela a déjà commencé à la veille du réveillon de Noël, dans le Vaucluse, poursuivant en fait un mouvement amorcé bien avant les Gilets jaunes. C’est aussi l’illustration d’un trop-plein de réglementation et d’infantilisation des usagers, corvéables à merci dès l’instant où ils tiennent un volant. Annoncée par Édouard Philippe le 9 janvier dernier qui confirmait ainsi une information du Point sur le passage au 80 km/h sur les routes, la mesure que l’on dit à peine tolérée par le président Macron a suscité le ras-le-bol des Français. Elle s’est traduite dans un message vidéo-choc de Jacline Mouraud, 4 minutes et 40 secondes vues plus de 6 millions de fois.
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« Mais qu’est-ce que vous faites du pognon des Français ? » L’anaphore, répétée comme le « Moi, président… » de François Hollande en 2012, a agi comme un marteau piqueur sur le fatalisme des Français. Ils ont soudain réalisé à l’énoncé des différentes mesures autophobes (radars, carburants, péages, contrôle technique, chasse au diesel, etc.) que c’était à leur mode de vie même que l’on s’attaquait, à son fragile équilibre. Le thème de l’automobiliste mis à contribution sous tous les prétextes a été alors l’élément moteur d’une fracture dans l’opinion qui a conduit à la naissance des Gilets jaunes. Derrière la facture, apparaît une fracture profonde dans l’opinion qui ne gobe plus les arguments (écologie, sécurité routière) de l’État. Et cela ne devrait pas s’arranger en 2019 où vont entrer en œuvre à grande échelle les voitures radar banalisées qui feront qu’on les croisera ou les dépassera sans savoir qu’une infraction a été relevée.
Big Brother répressif
Une machine infernale, opérant en toute discrétion, déjà dénoncée ici même, et qui va faire exploser le nombre des PV sans même jouer de l’aspect éducatif lié à la présence d’un radar visible ou d’un agent verbalisateur au bord de la route. Là, ce sera un ordinateur relié à un radar et à un appareil photo qui relèveront ces milliers de petites infractions qui feront automatiquement, Big Brother oblige, gonfler les recettes de l’État.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la répression tatillonne qui a sévi jusqu’à présent va céder la place à un implacable outil à verbaliser où plus personne n’échappera au kilomètre-heure de trop. Et la suffragette de la sécurité routière, Chantal Perrichon l’a bien compris en demandant d’ores et déjà la réaffectation des budgets destinés normalement à réparer les radars vandalisés cette année à la multiplication des voitures banalisées.
« Pour ceux qui ont décidé que la casse était leur mode d’expression argumente la présidente de la Ligue contre la violence routière, nous demandons que les radars soient remplacés par des voitures banalisées, poursuit-elle. Elles sont beaucoup plus difficiles à détruire et permettront un contrôle permanent sur toutes les routes, quelles qu’elles soient. »
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Avec un tel point de vue, on est très loin d’une verbalisation constructive dont le seuil se déclencherait avec des marges significatives au-dessus de la limitation et non au kilomètre-heure près. Une rigueur qui place le conducteur dans la situation du mouton prêt à tondre. Même chose pour les contrôles physiques avec des agents bien visibles dans les endroits réputés dangereux, comme ce fut le cas autrefois. Rien de tout ça n’a été envisagé pour une simple et très bonne raison, les PV nourrissent largement les caisses vides de l’État et il faut donc tout faire pour les aider à fructifier.
Destruction concertée
Les neuf radars détruits en une nuit dans le Vaucluse en témoignent. « C’est une véritable opération coup-de-poing. Il ne fait guère de doute que tous ces faits sont liés. On n’en est plus à bâcher les radars. Avec ces actes, je pense que l’on a franchi un cap », confie une source judiciaire au Dauphiné libéré.
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Selon une première estimation de cette destruction concertée, les dégâts se chiffrent déjà à plus de 100 000 euros et viennent grossir un parc de radars hors d’usage qui concerne tout le territoire. Une statistique que l’État conserve secrète de peur de susciter de nouvelles vocations.
Car ces petits jouets électroniques montant la garde le long des routes, dont les tarifs subissent une inflation liée à leur technologie digne des engins militaires, valent un petit trésor. Ainsi, avec l’installation, il faut compter 35 000 euros pour un radar « fixe double-face » prenant dans les deux sens, 70 000 euros pour un radar « mobile-mobile » – c’est-à-dire embarqué dans une voiture roulante, 64 000 euros pour un radar « vitesse moyenne » ou radar tronçon, 60 000 euros pour un radar « chantier » et 120 000 euros pour un radar « feux rouges », ces deux derniers étant dans l’arsenal répressif les mieux admis, car aucune personne raisonnable ne conteste leur utilité.
Recettes : 37 fois les dépenses
Les remplacer ou les remettre en état ne nécessite pas autant de travaux d’infrastructure, mais nos informations font état couramment d’une facture de 20 000 euros pour un radar fixe (3 229 en service en 2019) endommagé. Le fait est que l’entretien et la réparation des radars, qui avaient été estimés par la loi de finances 2017 à 30,5 millions d’euros, vont exploser cette année. Mais l’État peut être beau prince, il a les moyens avec des recettes 37 fois supérieures, se montant à 1,113 milliard pour les seuls radars automatiques (789 millions en 2015). Ce chiffre des recettes a déjà été estimé à 1,230 milliard prévu pour 2019, mais il est en fait en dessous de la vérité car l’introduction du 80 km/h aurait eu pour effet de doubler le nombre des infractions. La maintenance et l’installation de nouveaux équipements (pour un total de 4 700 radars) devaient mobiliser selon la loi de finances 308 millions d’euros en 2018 (204 millions en 2015).
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La route reste donc, malgré cela, une très bonne affaire qu’il faut absolument préserver pour l’exécutif, même si la rhétorique quelque peu hypocrite due aux drames des accidents de la route reste la colonne vertébrale de la Sécurité routière. Le problème est que plus aucun usager expérimenté n’y croit alors que beaucoup d’autres actions de prévention et de formation seraient bien plus utiles, notamment en matière de lutte contre l’alcoolémie et la drogue.