Réforme de la justice : offrons-nous le temps de bien juger
TRIBUNE. Les secrétaires de la Conférence du barreau de Paris s’opposent à la proposition de la ministre de la Justice d’expérimenter des « tribunaux criminels ».
LES SECRÉTAIRES DE LA CONFÉRENCE DU BARREAU DE PARIS*
Le 9 mars dernier, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a annoncé les principaux axes de la réforme de la justice, parmi lesquels l’expérimentation d’un « tribunal criminel départemental » pour « accélérer le jugement des affaires criminelles ». La Conférence des avocats au barreau de Parisest opposée à ce projet. Si l’objectif de célérité avancé est louable, notamment en ce qu’il permettrait de réduire la durée de la détention provisoire des personnes présumées innocentes, la solution proposée n’apparaît pas opportune.
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D’abord, parce que de nombreux dossiers sont d’ores et déjà renvoyés devant les tribunaux correctionnels alors même qu’ils ont fait l’objet d’une instruction criminelle. En effet, la « correctionnalisation », fiction juridique consistant à requalifier un crime en délit, est utilisée depuis de nombreuses années par les juridictions d’instruction pour des raisons de célérité et d’économie. En somme, loin d’alléger le rôle des cours d’assises, la création d’un tribunal criminel compétent pour traiter les crimes les « moins graves » ne ferait qu’entériner un traitement différencié des crimes particulièrement critiquable.
Renoncement
Ensuite, parce que la création d’un tribunal criminel introduit une remise en cause du principe même d’un jury populaire. Or, la participation des citoyens au jugement des crimes, institution ancienne et essentielle de l’organisation judiciaire, ne saurait être supprimée sans une réflexion approfondie sur le modèle de justice que nous souhaitons.
La cour d’assises n’est pas une justice de luxe, mais simplement de qualité
Enfin, parce que la cour d’assises est remarquable pour le temps qu’elle consacre à l’examen des affaires. La prééminence de l’oralité lors de ces audiences permet l’expression de la douleur des victimes et assure la compréhension par l’accusé de la peine à laquelle il est, le cas échéant, condamné. L’abandon de la meilleure juridiction pénale française à des fins budgétaires serait un renoncement. À cet égard, il convient de rappeler que la France est l’un des pays européens qui consacre la plus faible part de son produit intérieur brut au budget de la justice.
La cour d’assises n’est pas une justice de luxe, mais simplement de qualité. Offrons-nous le temps de bien juger.
*Signataires : Joris Monin de Flaugergues, Safya Akorri, Julia Cancelier, Étienne de Castelbajac, Nima Haeri, Pierre Jude, Margaux Durand-Poincloux, Guillaume Halbique, Maxime Bailly, Vincent Lorenzi, Moad Nefati, Adrien Sorrentino, secrétaires de la Conférence 2018.