SERVICE NATIONAL UNIVERSEL : Une opportunité.
Le service national universel : une opportunité
pour remettre au cœur du débat public
les fondements de la cohésion et de la souveraineté de la Nation
Il y a quelques jours, le président de la République a évoqué sa décision d’instaurer un service national universel (SNU) dont la partie obligatoire pourrait s’étendre de trois à six mois : des propositions devraient lui être présentées en avril prochain. Ce projet viserait, en particulier, à contribuer à améliorer la cohésion nationale. Il est vrai, en effet, que confrontées à la mondialisation et à des agressions qui se multiplient, nombre de nations européennes connaissent un délitement du lien social et paraissent fragilisées et douter de leur avenir. Notre pays, qui se veut une puissance d’ « influence mondiale[1] », n’y échappe pas. Compte tenu de la situation générale et de la gravité des évolutions stratégiques en cours[2], une meilleure conscience collective des différents enjeux et un sursaut semblent donc s’imposer. Cette réflexion sur le SNU pourrait ainsi être utilement mise à profit pour remettre au cœur du débat public la question des fondements de deux grandes priorités, clés de notre sécurité, que sont la cohésion et la souveraineté de la Nation.
La France reste une grande et vieille nation aux atouts, aux potentialités encore multiples…
Présente sur plusieurs continents et océans, seconde zone économique exclusive mondiale grâce à l’Outre-mer, bénéficiant d’une position stratégique clef en Europe, la France dispose d’atouts géopolitiques majeurs. État-nation de haut niveau au plan nucléaire, spatial, technologique et militaire, membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU et de plusieurs grandes organisations, elle voudrait jouer un rôle moteur en Europe et servir le bien commun au plan international. Via la francophonie, elle dispose de liens privilégiés avec l’Afrique dont le développement et la maîtrise démographique constituent un enjeu capital pour les Européens. Avec une population instruite, un héritage et un patrimoine exceptionnels, elle jouit encore d’un remarquable potentiel.
… mais elle est fragilisée et confrontée à des risques et menaces qui génèrent des fractures…
Depuis 1974, après la prospérité des Trente Glorieuses, notre pays et d’autres États européens connaissent diverses causes de fragilisation dont au moins trois majeures. L’une consiste en l’adoption d’idéologies individualistes et destructrices des valeurs traditionnelles et du civisme. Une autre est d’avoir laissé se développer une immigration extra européenne excessive et de plus en plus difficile à intégrer. Enfin, un transfert trop important de souveraineté paraît avoir été consenti sans garantie suffisante au profit d’organisations supranationales (UE, OTAN, ONU) souvent sous influence.
Il en est résulté qu’après 1991 et l’éclatement de l’URSS suivi de multiples conflits et, en Europe de l’abattement des frontières, nos États se sont trouvés démunis face à un laissez-faire mondial non régulé des personnes, biens et capitaux. Aujourd’hui, entravés par la prééminence du droit européen, ils sont menacés sur leur sol par l’offensive de concepts sociétaux et de systèmes religieux qui défient nos institutions et remettent en cause nos repères essentiels. Ainsi, les actions et menées du terrorisme islamiste, le développement du communautarisme et de la violence, la montée des extrémismes traduisent diversement à la fois l’échec de l’intégration et celui d’un individualisme effréné et rétif. La persistance d’un chômage élevé relié à des dépense et dette publiques extrêmes et à un commerce extérieur déficitaire, la désagrégation lente mais continue du système éducatif et de la famille, sont d’autres signes probants de la crise qui affecte la France et une partie de l’Europe. Il en découle une société de plus en plus hétérogène, fracturée par la perte de ses valeurs communes, la confusion des idées, la culpabilisation, la peur, et qui doute de sa propre identité. Il s’ensuit une diminution de notre volonté de Défense qui contribue à transformer nos riches démocraties en proies tentantes à subvertir et à frapper. Le risque d’une « décomposition nationale[3] » est même évoqué.
… qui requièrent de consolider les fondements de notre protection nationale…
Ainsi, notre politique de Défense et de Sécurité est censée tenir compte des changements géopolitiques du monde pour y ajuster nos ambitions et notre stratégie avec des moyens adaptés et suffisants. Définie par le Livre blanc de 2013[4], actualisée par la dernière Revue stratégique, elle sera modernisée par la future loi de programmation militaire (2019-2025). Les priorités de protection des populations et du territoire, de dissuasion, d’intervention et les « trois piliers » fixés par l’ancien chef de l’État dans le premier document demeurent pérennes. « Face aux risques et aux menaces, le premier fondement de la sécurité nationale est l’existence d’une volonté collective de défense assise sur la cohésion de la Nation et sur une vision partagée de son destin ». Le second fondement consiste dans l’affirmation que notre stratégie « s’inscrit dans le cadre d’une défense européenne efficace ». Cependant, à l’image du troisième pilier constitué par « l’effort budgétaire consenti par la Nation » pour sa défense, lequel, en 2017, a été au plus bas, l’évolution de la situation générale depuis plusieurs années conduit à s’interroger sur la solidité de ces piliers.
Sur notre territoire et sur ses abords, les risques et menaces précités se sont soit concrétisés douloureusement (succession d’attentats islamistes très meurtriers), soit développés (extension des zones de non droit et des exigences communautaires et confessionnelles). Fait aggravant, ces attentats et exactions ont été commis avec la participation et la complicité de certains de nos concitoyens et avec la collaboration d’étrangers ayant transité à travers l’UE. Constituée d’États aux visions politiques souvent divergentes, celle-ci s’est montrée désunie face à la crise ukrainienne comme à l’afflux massif de migrants et pas très efficace contre le terrorisme. Au Levant, nos soldats combattent des islamistes dont certains sont français. Ces divers évènements tendent à souligner une certaine fragilité de notre cohésion nationale et la faible crédibilité de l’UE en matière de sécurité et de Défense. Très logiquement, la dernière Revue stratégique fixe les efforts à consentir pour restaurer les deux derniers piliers. S’agissant du premier pilier, le moment semble venu de l’améliorer en se référant à des « fondements » consolidés et réactualisés.
… et, après l’effort budgétaire[5] et capacitaire annoncé, de faire du renforcement de notre cohésion et de notre souveraineté nationales un objectif majeur pour notre sécurité
En effet, dans notre monde mondialisé, paradoxalement, la réalité du fait national reste indiscutable[6] et, semble-t-il, pour une longue période encore en dépit de la péripétie catalane. Outre les engagements gouvernementaux précités, deux axes d’effort apparaissent prioritaires pour permettre à notre pays de tenir son rang et de faire face efficacement aux nouveaux défis et menaces, notamment culturels, qui minent notre société.
Le premier viserait à rétablir une cohésion nationale qui permette une vraie union des Français face à l’adversité, ce qui n’est pas assuré aujourd’hui, et à reconstruire un esprit de Défense collectif. Cela nécessite de rappeler clairement les valeurs fondamentales qui, historiquement, fondent notre unité et notre identité nationales et qui, jusqu’ici, nous ont permis de vivre ensemble et en harmonie sur notre territoire. Il s’agirait ensuite de clarifier le concept de nation auquel nous voulons adhérer, puis, le cas échéant, de redéfinir les conditions d’accès à la citoyenneté. Enfin, en tout cas, il conviendrait de revaloriser le civisme patriotique, la fierté nationale et l’enseignement des vertus.
Le second axe d’effort conditionne le premier. Il tendrait à renforcer une souveraineté nationale aujourd’hui affaiblie, aux plans extérieur et intérieur, notamment dans le domaine juridique. Attribut essentiel de la Nation, la souveraineté est un fondement de la sécurité nationale au sens large. Elle repose sur une autonomie suffisante de décision et d’action de l’État vis-à-vis de l’étranger et sur sa capacité à se faire obéir par sa propre administration. Ces priorités procèdent de la nécessité d’un réarmement intellectuel, politique, moral et juridique de la Nation pour rendre plus fort le consensus national. Telles nous semblent les exigences requises pour permettre à un SNU de réussir.
Pierrick GUIRRIEC
Officier général (2s)
Site de rediffusion : www.asafrance.fr