Ocean Drive a connu des débuts de week-end plus animés. Barricadée sur toute sa longueur et presque totalement déserte, l’avenue la plus célèbre de Floride est, en ce samedi matin, balayée par de puissantes rafales de vent. Au large, le ciel est noir et charrie sur Miami de fortes averses qui, bien qu’encore intermittentes, font craquer les premières branches d’arbre et tomber quelques noix de coco. Dans une ambiance de veillée d’armes, la police patrouille le quartier de Miami Beach et tolère encore les quelques touristes venus immortaliser les prémices de l’un des ouragans les plus puissants jamais enregistrés dans l’Atlantique.
A rebours des quelques badauds de l’avenue, Juan et Tennessee, respectivement âgés de 46 et 55 ans, ne brandissent aucune perche à selfie et semblent indifférents aux éléments déchaînés. Sacs en plastique bourrés d’affaires en main, ils errent d’un pas lent et ignorent la pluie qui s’abat sur eux à grosses gouttes. Ces deux sans-domicile fixe avouent ne pas avoir de destination précise, malgré l’ordre d’évacuation de la zone. «La police nous crie bien d’évacuer le quartier, mais les abris les plus proches sont à plusieurs dizaines de kilomètres et nous sommes à pied»,explique Tennessee d’un air hagard. «On va essayer de se planquer quelque part dans Miami Beach, de préférence en hauteur», affirme Juan, semblant ignorer que plusieurs mètres d’eau déchaînée pourraient envahir le quartier dès la nuit prochaine. A leur image, plus d’un millier de sans-abri erraient encore dans les rues de Miami à quelques heures de l’arrivée de l’ouragan Irma sur la Floride. Pour les autorités, dont la liste d’urgences à gérer gonfle d’heure en heure, une folle course contre la montre s’est engagée afin de mettre en sécurité les nombreux démunis que compte la ville.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté de faire comprendre à la population les risques encourus. Toute la semaine, le gouverneur de la Floride et le maire du comté de Miami-Dade ont multiplié les propos délibérément alarmistes, parlant «d’ouragan nucléaire» d’une intensité «jamais vue par quiconque de vivant». Dès mercredi, de larges portions de la ville de Miami ont été entièrement évacuées, à l’image de nombreuses autres agglomérations du sud de la Floride. Autant de messages qui n’avaient, à l’heure où se faisaient sentir les premières rafales d’Irma, pas atteint la totalité de leurs cibles. Si plusieurs milliers d’habitants des quartiers en zone d’évacuation obligatoire ont délibérément choisi de rester dans leurs immeubles pour affronter l’ouragan, la situation des sans-domicile fixe est autrement plus périlleuse ; les bourrasques à près de 200 km/h et les probables inondations du centre-ville de Miami pourraient tuer dès les premières heures de l’ouragan.
Couvre-feu
Face à l’urgence, la police du comté de Miami-Dade a décidé d’employer les grands moyens. Accompagnés de psychiatres, des dizaines de policiers s’affairaient en ce samedi à passer le centre-ville au peigne fin pour tenter de convaincre les plus récalcitrants de rejoindre les quelque quarante-deux abris anti-ouragan ouverts dans le comté. Dans l’un des parcs du quartier d’affaire, situé en zone inondable, la police n’a d’ailleurs pas hésité à embarquer de force plusieurs sans-abri refusant de rejoindre les centres d’hébergement. «Je ne veux pas rejoindre de centre d’hébergement, j’y ai vécu trop de mauvaises expériences dans le passé. Je préfère encore affronter l’ouragan seul», explique l’un d’eux à la police malgré les nuages d’orages à l’horizon. Las, le Florida Mental Health Act de 1971 (permettant aux autorités d’interner contre sa volonté tout individu atteint d’une maladie mentale ou présentant un danger pour soi-même) a autorisé les quatre officiers de police, l’air désolé, à couper court à la conversation. Cinq sans-abri du Bayfront Park sont menottés et évacués vers l’intérieur des terres.
Combien sont-ils à ne pas avoir pu être mis en sécurité à temps ? Alors que la nuit tombe sur la Floride, l’ouragan Irma quitte les côtes cubaines et se dirige vers les Etats-Unis, où il est attendu en début de matinée dimanche. Déjà, des tornades sont annoncées dans plusieurs comtés du sud de la Floride et l’eau pourrait monter de plusieurs mètres pendant la nuit, menaçant de submerger certains quartiers de Miami. Un couvre-feu a été décrété par la police municipale, qui se prépare maintenant à devoir répondre à des milliers d’appels d’urgence à travers toute la ville. Les derniers sans-abri de Miami sont désormais livrés à eux-mêmes.