C’est presque un sport : pour se faire mousser, certaines personnalités peu scrupuleuses bidonnent leur CV et s’attribuent généreusement des diplômes ou des titres qu’elles n’ont jamais obtenus ni mérités. Sont-elles prises sur le fait, tantôt elles se repentent d’avoir succombé à la tentation, tantôt elles en tirent gloire, comme si, dans notre société, l’esbroufe et l’imposture étaient devenues des vertus et la marque de la réussite. Voyez Tariq Ramadan : non content de faire l’objet de quatre plaintes pour viol ou agression sexuelle, il aurait usurpé des titres universitaires.
Cela ne date pas d’aujourd’hui. Rappelez-vous : en 2003, un journaliste anime un débat télévisé entre Tariq Ramadan et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur : « Vous enseignez l’islam à Genève et la philosophie à Fribourg », annonce-t-il en guise de présentation. Nul besoin de vérifier, puisque c’est le titre qu’il se décerne lui-même. En mars 2005, il signe, dans Le Monde, une longue tribune intitulée « Pour un moratoire sur l’application de la charia dans le monde musulman », montrant à quel point il est libéral, et signe : professeur de philosophie et d’islamologie à l’université de Fribourg. Chapeau !
On peut s’étonner que des journalistes, dont la première qualité devrait être l’esprit d’examen, aient pris ce titre ronflant pour argent comptant : ils sont souvent plus prompts à se poser des questions ! Il faut croire que le personnage en imposait par son bagout, au point d’échapper à tout soupçon. C’est ainsi qu’il s’est forgé un personnage respectable, multipliant les conférences, notamment dans les banlieues françaises, séduisant telle ou telle personnalité politique ou médiatique, devenant la coqueluche des plateaux de télévision. On peut se demander si tous ceux qui, par naïveté ou par complaisance, ont entretenu son statut de vedette ne sont pas plus ou moins complices d’une supercherie.
C’est un député suisse qui a levé le lièvre : « L’accusation de “faux professeur” est lourde de sens », explique-t-il. « Elle impliquerait que notre université ait pu se faire berner sur le statut académique de Tariq Ramadan. » De son côté, le rectorat a confirmé que Tariq Ramadan n’a jamais été professeur dans cette université, qu’il y a juste effectué bénévolement quelques exposés sur l’islam : « L’université de Fribourg n’est pas responsable des titres académiques qui ont été attribués à M. Ramadan après son départ en 2004 », précise-t-il.
On pourrait presque trouver cette supercherie amusante et reconnaître à notre islamologue un grand talent de comédien s’il n’avait pas sévi pendant des années, prêchant un islam dont on reconnaît aujourd’hui qu’il n’est pas si modéré. Que n’a-t-on eu la lucidité de dénoncer plus tôt son discours, de démonter ses propos, de montrer qu’il abusait de son éloquence pour faire de la propagande islamique sous des apparences respectables ? Ceux qui s’y sont essayés furent traités d’islamophobes.
Ce prétendu spécialiste de l’islam, que Gilles Kepel (qui connaît son sujet) traitait de « produit de consommation jetable », est aujourd’hui tombé du piédestal où l’avait placé un snobisme intellectuel mêlé d’une singulière irresponsabilité, comme rattrapé par ses pulsions et ses fantasmes. Bizarrement, il a, maintenant, moins de défenseurs. Il a fallu attendre, pour se garder du personnage, qu’on le soupçonnât d’agressions sexuelles. Sans quoi, il continuerait de prêcher tranquillement sa bonne parole.