Dans le quartier du Mirail, les dealers affichent la couleur : les tarifs de leur came sont même peints à la bombe sur les murs des halls d’immeubles de la Reynerie. Tout comme l’accès au «supermarché de la drogue» toulousain, fléché par des tags que les employés des bailleurs sociaux effacent et repeignent régulièrement, sous le regard des guetteurs, en poste à l’entrée de la cité. Certains dealers poussent même le marketing très loin en customisant leurs pochettes de marijuana avec le dessin d’une feuille de cannabis estampillée «Mirail» et l’indication métro Mirail-Université.
Dans ce quartier délaissé du sud-est de la Ville rose, ils font leur loi. En 2017, la préfecture a enregistré ici une hausse de 24% des vols avec violence par rapport à 2016. Alors que, dans le même temps, les violences urbaines étaient en baisse de 6% dans le département. Et les chiffres de la délinquance risquent de flamber encore cette année, suite aux émeutes urbaines qui ont éclaté dans le quartier en avril, trois nuits durant lesquelles 60 véhicules ont été carbonisés sur fond d’affrontements avec la police.
«S’occuper des rues ou de copropriétés vérolées par la drogue, ce n’est pas notre travail, mais celui de la police nationale», se dédouane Olivier Arsac, adjoint chargé de la sécurité, en reprenant les voeux de début d’année de Jean-Luc Moudenc, le maire Les Républicains de Toulouse. Justement, dès septembre, 30 policiers nationaux arriveront en renfort dans le cadre du déploiement de la nouvelle police de sécurité du quotidien (PSQ), la police de proximité version Gérard Collomb. Ils rejoindront les 103 policiers déjà affectés à ce quartier «de reconquête républicaine» où vivent 32.500 habitants. Une progression de 30% des effectifs , a vanté Gérard Collomb en visite au Mirail, en mars dernier.
Vrai, mais ici la police de proximité a une histoire douloureuse : c’est à Toulouse qu’elle a été expérimentée, sous la houlette de Jean- Pierre Havrin, considéré comme le père de cette police de terrain. C’est ici aussi que tout s’est arrêté, flingué par Nicolas Sarkozy, dans le rôle du shérif. C’est Havrin qui avait soufflé l’idée à Jean-Pierre Chevènement, alors qu’il était son conseiller, avant de devenir directeur de la sécurité départementale de Haute-Garonne, puis adjoint à la sécurité du Capitole, sous le mandat de Pierre Cohen (maire PS).
Les critiques sont toujours aussi féroces. «Une nouvelle police qui fait copains-copains avec les délinquants et organise des matchs de foot avec eux comme à l’époque, cela n’est pas sérieux », tacle Olivier Arsac, en référence à la période de 1999 à 2003, celle où Jean-Pierre Havrin l’avait mise en place au Mirail. L’expérience avait sèchement pris fi n suite à la visite de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, dans un commissariat du Mirail. «En voyant la tête de mes gars qualifiés de travailleurs sociaux alors qu’ils se sont pris des machines à laver sur la tête en arrivant dans le quartier, qu’ils ont dû reprendre le terrain mètre par mètre, en uniforme, faisant preuve d’un courage incroyable, j’ai eu envie de lui mettre un coup de boule», confie aujourd’hui Jean- Pierre Havrin.
Pourquoi le maire a-t-il postulé à la PSQ si la philosophie de la police de proximité est encore si moquée au Capitole ? Il ne crache pas sur des effectifs de policiers supplémentaires, tout simplement. Ils seront donc 30, soit le maximum déployé pour chacune des villes tests choisie par le ministère de l’Intérieur. Car, malgré 1.150 policiers nationaux attribués à Toulouse, les maires successifs déplorent depuis des décennies une sous-dotation, notamment par rapport à Bordeaux.
Avec la PSQ, la mairie de Toulouse espère surtout «voir renforcées les équipes d’investigation, notamment dans les affaires de stupéfiants, indique l’adjoint à la sécurité. Je ne perçois pas l’intérêt de faire patrouiller des policiers nationaux dans les quartiers pour gérer les bobos du quotidien : cela, c’est le travail de la police municipale». La présence de ces policiers de sécurité du quotidien ne serait donc pas mise à profit pour créer du lien. C’est pourtant l’une des missions de la PSQ. Et les émeu tes d’avril entre jeunes du Mirail et forces de l’ordre montrent que le climat aurait bien besoin d’être apaisé.
Jean-Pierre Havrin avance un autre argument : «Dans un contexte plombé par les attentats, se dire que les parents inquiets se rendront au commissariat pour parler de leur fils qui se radicalise est un leurre. En revanche, ils iront peut-être en discuter avec un policier de proximité qu’ils voient tous les jours. Il serait à même de repérer les signaux faibles, que les renseignements n’arrivent pas à capter, même s’ils sont très bons par ailleurs.» Pas inintéressant quand 300 personnes soupçonnées de radicalisation sont suivies par les services de sécurité du département, le plus touché d’Occitanie ; la région étant elle-même la plus concernée dans le Sud.
«Toulouse est un peu un laboratoire pour la police, analyse Mathieu Zagrodzki, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. La police de proximité y avait été déployée avec une doctrine, à un niveau très poussé. Mais, depuis 2014, il y a eu un virage très sécuritaire. » Dès son arrivée au Capitole, Jean-Luc Moudenc a déclenché une «reprise en main républicaine», selon la formule de son adjoint. Les Toulousains voient de plus en plus d’hommes en bleu, dans les rues du centre-ville essentiellement.
Les policiers municipaux, qui étaient 150, ont vu leur effectif doubler et sont à présent 314. La mairie a mis le paquet sur les caméras de vidéosurveillance : 350 (dont 27 au Mirail), contre 21 en 2014. Cela a coûté 8,2 millions d’euros (dont 1 million financé par l’Etat). Sous le mandat de Pierre Cohen, aujourd’hui principal élu d’opposition au conseil municipal, les policiers municipaux ne patrouillaient pas après minuit. Et seules les équipes du soir étaient armées.
Son successeur a musclé le dispositif : à présent, deux équipes de 17 agents sont sur le pont toute la nuit. Et les municipaux sont dotés d’armes à feu jour et nuit. «Ces policiers n’ont pas de pouvoir d’interpellation, rappelle Pierre Cohen. Au-delà d’une certaine heure et d’un certain niveau de violence, il faut passer le relais à la police nationale, et notamment à la BAC».
Olivier Arsac défend la ligne du maire : «Les policiers municipaux ne doivent pas aller travailler la peur au ventre. Les élus qui n’ont pas le courage de les armer sont irresponsables.» Tout en se félicitant de la tranquillité retrouvée au centre-ville, la priorité affichée par la mairie. Au Mirail, les habitants attendent encore.