Un an après la « jungle », les passeurs renouvellent leurs modes opératoires
Le démantèlement de la « jungle » de Calais en octobre 2016 a provoqué un éparpillement des migrants sur le territoire et les filières d’acheminement vers la Grande-Bretagne, « fortement déstabilisées », ont dû revoir leur stratégie, explique Julien Gentile, chef de l’Office français pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (Ocriest).
Question: Quelles conséquences a eu le démantèlement de la « jungle » il y a un an ?
Réponse: « Le démantèlement des camps, dans lesquels vivaient 7.000 à 10.000 personnes, a fortement déstabilisé les filières d’immigration clandestine. La clientèle des passeurs était alors concentrée et une grosse partie des migrants était prise en charge à proximité des camps dans les zones de stationnement et sur les parkings à proximité du port. Aujourd’hui, on ne dénombre plus « que » 80 découvertes de migrants par jour, contre 500 au moment du pic migratoire.
Même si les migrants ne sont plus regroupés massivement dans le Nord, la France est toujours un pays de transit, et les flux restent à un niveau stable. Ce sont les trafiquants qui déterminent les flux migratoires et attirent des migrants assurés de pouvoir trouver en France des structures qui les aideront à rejoindre la Grande-Bretagne.
Depuis le démantèlement des camps, la clientèle s’est ventilée sur tout le territoire. Les filières d’immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, toujours tenues par les Albanais et les Irako-Kurdes, ont dû revoir leur stratégie. »
Q: Quels sont les nouveaux modes opératoires des passeurs ?
R: « Les migrants sont toujours principalement acheminés vers la Grande-Bretagne en étant cachés dans des camions, mais maintenant la prise en charge des migrants peut s’opérer à plusieurs centaines de kilomètres de Calais avec de multiples lieux de rendez-vous.
En plus des passages via Calais, nous remarquons désormais un report des départs vers le Royaume-Uni depuis la Bretagne, la Normandie, voire depuis l’Espagne. Nous avons eu des filières qui allaient chercher les gens à Calais ou à Paris pour les faire partir en bateau depuis le port de Bilbao.
En général, les chefs de ces filières, parfois basés au Royaume-Uni, commandent un ou plusieurs lieutenant(s) dans le Nord, qui coordonne(nt) un groupe de chauffeurs chargés de récupérer les migrants. Ces chauffeurs se déplacent de nuit entre les départements du Nord, de l’Ouest et de l’Ile-de-France pour charger les migrants dans des camions.
Nous constatons également que des filières proposent des traversées de la Manche et de la Mer du Nord sur des embarcations légères, parfois de vraies coquilles de noix (zodiacs, voiliers). Des migrants ont été repêchés vivants, ce qui est assez préoccupant. »
Q: Le marché est-il toujours florissant ?
R: « Ce marché reste très lucratif même s’il est moins florissant. Le coût des passages n’a pas trop varié. Il se situe entre 500 et 1.000 euros et peut monter jusqu’à 5.000 euros en cas de complicité du chauffeur.
Une filière, qui parvient à faire passer 6 à 15 migrants chaque nuit, réalise très rapidement un très gros chiffre d’affaires. Parfois jusqu’à 15.000 euros par soirée. Les enquêtes doivent aboutir rapidement car les trafiquants rentrent souvent au bout de quelques mois dans leur pays.
Avant, la masse de clients était tellement importante que nous avions très peu de règlements de comptes. Mais plusieurs fusillades opposant des équipes de passeurs ont été enregistrées depuis le démantèlement, sans faire pour l’heure de morts.
Depuis janvier, l’Ocriest a démantelé 39 filières d’acheminement de migrants vers la Grande-Bretagne, soit une hausse de 10 % sur la même période de l’année précédente. Plus de 150 personnes ont été déférées et encourent jusqu’à 10 ans de prison pour aide au séjour irrégulier en bande organisée. »
Propos recueillis par Pauline TALAGRAND
02/12/2017 12:32:11 – Paris (AFP) – © 2017 AFP