Violences conjugales : des postures révélatrices
Depuis le 4 juillet 2014, la France est signataire de la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique. Pour répondre aux standards minimums en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuite des auteurs fixés par la convention, des formations sont organisées, notamment par le syndicat des femmes chirurgiens-dentistes. Au CHU de Rouen, le Casa est un centre spécialisé pour accueillir les victimes d’agression. Explications.
Singulier paradoxe ! Alors qu’en plein scandale sexuel Weinstein suivi d’une immense vague de témoignages sur les réseaux sociaux, le Parlement européen est rattrapé par le phénomène #MeToo [moi aussi, N.D.L.R.]. Des dizaines de témoignages de femmes relatent ainsi des agressions sexuelles, et même des viols, sur des assistantes travaillant pour des parlementaires européens ces dernières années. Et pourtant, la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe fait du sexisme une circonstance aggravante dans un crime (comme pour le racisme ou l’homophobie), elle incite également à la prévention, sensibilisation et formation qui doit permettre aux professionnels de santé et aux forces de l’ordre de déceler les personnes victimes de violences conjugales, qu’elles soient des femmes ou des hommes, d’ailleurs.
Former dès le collège
« Effectivement nous organisons des journées de formation En Seine-Maritime, à Rouen, au Havre, à Elbeuf ou à Dieppe », précise Fatima Goual, coordinatrice du Centre d’information sur les droits des femmes et de la famille (CIDFF 76). Ces quatre journées annuelles concernent tous les professionnels qui peuvent rencontrer dans le cadre de leurs activités des femmes victimes de violences conjugales : travailleurs sociaux, gendarmes, avocats, professionnels de santés, infirmiers… « A l’école de police d’Oissel, nous sommes également présents, notamment pour sensibiliser les jeunes recrues à l’accueil de ces femmes. L’idée est d’avoir une logique sur le territoire pour que la parole des femmes soit mieux entendue. Pour bien accompagner, il faut bien comprendre. Par exemple cette idée reçue qui fait que l’on ne comprend pas pourquoi une femme battue revient chez elle… On a vite fait de faire des raccourcis ! » Le CIDFF intervient également en milieu scolaire, dans les classes de 4e et 3e, pour prévenir de la violence dans les relations amoureuses, et pour porter la notion d’égalité homme-femme dans le couple.
La prévention doit en effet débuter tôt car les chiffres sont effarants. 157 personnes sont décédées en 2016. Elles ont été tuées par leur partenaire ou par leur ex-partenaire de vie (« officiel » ou non) selon le ministère de l’Intérieur. Parmi ces 157 personnes mortes à la suite « d’assassinats, homicides ou violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », 123 étaient des femmes et 34 des hommes. Le rapport du gouvernement souligne que sur 28 hommes tués par une femme, « 17 d’entre elles étaient victimes de violences de la part de leur partenaire ». Un homme a, quant à lui, été tué par son compagnon. Des chiffres également en augmentation de 9 % par rapport à 2015, où étaient recensées 144 victimes (122 femmes et 22 hommes). En 2016, une femme est morte tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint, quand un homme est décédé tous les onze jours de violences au sein de son couple.
Pour combattre ces violences insupportables, les professionnels de santé se mobilisent. C’est notamment le cas des chirurgiens-dentistes qui suivront demain, jeudi 9 novembre, à Rouen, une formation à l’initiative du Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD) sur le thème de l’accueil et prise en charge au cabinet dentaire des femmes victimes de violences.
Très impliquée dans ce combat, Marie-Valérie Caubrière est la référente SFCD en Normandie. « Il faut apprendre à les repérer, à libérer leur parole, les écouter et les aider. » La spécificité des chirurgiens-dentistes est que très souvent les violences d’ordre sexuel ont un rapport avec la bouche – une fellation imposée par exemple, ou des dents cassées lors de violences conjugales – « mais on n’y pense pas forcément » souligne la dentiste. « Nous avons une position de travail d’emprise, la patiente est allongée, la bouche ouverte, nous sommes au-dessus et nous rentrons dans la bouche… Nous avons un acte invasif, et c’est très important avec cette position particulière parce que l’on se retrouve parfois avec des femmes qui s’allongent, ouvrent la bouche, sont tellement raides et ne parlent pas… »
Emprise et sidération
Une attitude qui s’inscrit dans le cycle de sidération constaté lors des violences faites aux femmes : « Quand elles ont eu des soucis de cet ordre-là, elles se mettent dans une position particulière, comme lorsqu’elles sont soumises face à un agresseur sexuel. Nous avons des gens qui n’ont pas vu de dentiste depuis dix ans et on ne sait pas pourquoi ! » Pourtant, le comportement de ces femmes peut alerter le médecin. « C’est l’objet de la formation auprès de nos collègues, hommes ou femmes. Nous ne sommes pas là pour les faire avouer ou craquer mais comme peu portent plainte, il faut que la parole se libère. Nous avons un rôle à jouer car nous sommes des observateurs particuliers. Donc, il s’agit aussi de savoir comment se comporter. En plus des violences sexuelles, il y a souvent des coups, des chutes dans l’escalier. Nous ne sommes pas des avocats, des policiers, des assistantes sociales ou des banquiers pour offrir une couronne mais nous pouvons avoir une position professionnelle pour savoir comment réagir… » Le dentiste peut alors proposer de rédiger un constat, un acte conséquent, qui peut servir ensuite lorsque des poursuites judiciaires sont engagées. Tous les jours en France, 42 000 chirurgiens-dentistes voient 800 000 patients, dont 20 % de femmes.
QUELQUES NUMÉROS UTILES
UN CENTRE D’ACCUEIL POUR LES AGRESSIONS
Les chiffres de la justice
Les affaires enregistrées par un TGI se composent d’affaires pouvant donner lieu à des poursuites et d’autres « non poursuivables ». Tel est ainsi le cas lorsque les preuves sont insuffisantes pour caractériser l’infraction. En outre, les affaires dites « poursuivables » se déclinent en poursuites devant le tribunal, en alternatives aux poursuites (rappel à la loi, stage, composition pénale, etc.) et en classement sans suite (par exemple, en cas de retrait de la plainte).
Alain LEMARCHAND |