Violences scolaires : « Il a déboulé vers moi, prêt à en découdre »
#PasdeVague. Ils sont profs, pions, proviseurs, tous ont connu la violence et l’inertie de leur hiérarchie. Nora raconte le jour où un élève a failli la frapper.
Par Émilie Trevert
Depuis la diffusion de la vidéo d’un élève braquant sa professeure avec un pistolet factice à Créteil , la parole se libère chez les enseignants . Avec le hashtag #PasdeVague, des dizaines de milliers de professeurs osent parler de ce sujet jusqu’ici tabou : la violence exercée par une minorité d’élèves envers le corps enseignant.
Quatre cent quarante-deux incidents graves sont signalés chaque jour dans les collèges et lycées de France, d’après la Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), un chiffre stable depuis des années et largement sous-évalué, tous les faits n’étant pas signalés. Les violences verbales représentent 40 % des faits, les violences physiques – principalement entre élèves – 30 %.
Ces agressions, menaces, intimidations ou insultes ne touchent pas que les professeurs. Surveillants, conseillers principaux d’éducation (CPE) et membres du personnel de direction sont également en première ligne. Certains ont accepté de se confier au Point. Ils racontent le jour où la violence a fait irruption dans leur quotidien, sur leur lieu de travail, alors qu’ils se pensaient respectés. Derrière l’anecdote personnelle, ils dénoncent tous le manque de soutien de leur hiérarchie et des sanctions trop légères, voire inexistantes ou inapplicables.
Nora Bussigny, 22 ans, assistante d’éducation et auteure de Survaillante *
Cette étudiante en Lettres modernes et assistante d’éducation depuis quatre ans est passée par différents établissements plus ou moins difficiles en Seine-et-Marne, dans l’Essonne et en Seine-Saint-Denis. Une expérience qu’elle avait racontée dans des chroniques publiées sur le Point . Partout, elle a pu constater une banalisation de la violence verbale, voire physique, et un non-respect de l’autorité du personnel encadrant. « Tous les jours, dans l’espace de la vie scolaire, on voit débarquer un élève envoyé par un prof qui appelle à l’aide, rapporte Nora. Il y a un sentiment de dépassement absolu chez beaucoup d’enseignants et certains élèves en jouent. Ils savent qu’ils ont le pouvoir de les faire craquer. »
« La scène se passe en permanence dans un collège de Seine-et-Marne. Il a déboulé vers moi, faisant tomber chaises et tables, visiblement prêt à en découdre. Ce grand gaillard de 3e avait les yeux emplis de rage, j’ai vraiment cru que j’allais me faire massacrer. Heureusement, trois de ses camarades l’ont stoppé au dernier moment en le ceinturant. Nous venions d’avoir un échange plutôt vif et franc avec ce garçon connu pour son absentéisme et ses propos misogynes. Pour une fois, je ne m’étais pas laissé démonter quand il m’avait dit : Grosse salope de chienne, tu vas voir ce que... Je lui avais répondu : Et tu crois que j’ai peur de toi ? Qu’est-ce que tu vas me faire ? Viens, je bouge pas, je suis là, je suis une femme et je te dis merde. Je lui avais rétorqué cela avec un sang-froid inhabituel, je voulais lui montrer que je n’avais pas peur de lui. Certes, moi aussi j’avais été grossière – me calant sur son niveau de langage – mais j’avais réagi comme on le fait face à un animal enragé : ne pas montrer sa peur, rester calme en espérant sauver sa peau. Je me disais qu’après tout, ce n’était qu’un gosse de 14 ans. Je n’avais que cinq ans de plus que lui, ce n’était pas évident d’asseoir mon autorité. Beaucoup d’élèves pensaient pouvoir traiter d’égal à égal avec une pionne. Lui s’était senti trahi à cause d’un incident passé et voulait tout simplement se venger.
Il y a trop de rapports […] je n’ai pas que ça à faire !
L’élève ne fut pas exclu définitivement malgré ses antécédents (il n’en était pas à ses premières insultes ou menaces) : il écopa de deux semaines de mise à pied sans passer par la case conseil de discipline. Chose déjà exceptionnelle dans ce collège qui avait été classé en zone violence. Malgré les incidents à répétition, le principal de l’époque refusait de faire des conseils de discipline ; il préférait jouer à Candy Crush sur son ordinateur de bureau ! Il le disait ouvertement : Il y a trop de rapports ! Et les conseils de discipline, ça se fait le soir, je n’ai pas que ça à faire ! Du coup, pendant trois mois, il avait carrément interdit aux profs, surveillants et CPE de mettre des sanctions… Le reste du temps, on faisait des rapports qui n’étaient pas suivis d’effets. Les gamins sentaient qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, il y avait une impunité totale.
La preuve, un jour, je suis tombée sur une matraque dans le sac d’un élève. J’ai ainsi pu éviter une bagarre d’envergure entre bandes rivales dans le collège. Je n’ai pas été remerciée par le principal. Il a juste pris la peine de rencontrer le père du propriétaire de la matraque et lui a rendu l’arme en lui disant : Faisons comme si rien ne s’était passé, qu’il ne recommence pas s’il vous plaît. »
Survaillante. Journal d’une pionne de banlieue, éditions Favre, avril 2