Violences scolaires : « Je suis restée seule au milieu de la cour, tremblante »
PasdeVague. Ils sont profs, pions, proviseurs, tous ont connu la violence et l’inertie de leur hiérarchie. Lucie raconte le jour où un parent d’élève l’a séquestrée.
Par Émilie Trevert
Lucie enseigne depuis quinze ans le français à des collégiens. Elle est passée par une dizaine d’établissements et a pu constater que la violence, surtout verbale, n’était pas l’apanage de l’éducation prioritaire et des quartiers sensibles. Partout, elle a eu le sentiment d’être abandonnée par sa hiérarchie en cas de problème et de subir la loi du silence. Il y a deux ans, elle a été séquestrée et menacée par un parent d’élève. Lucie n’a pas porté plainte. « J’ai sans doute été dissuadée par le chef d’établissement », s’excuse-t-elle aujourd’hui.
« C’était ma première année dans cet établissement de centre-ville réputé plutôt calme. Un élève tardait à me rendre son devoir depuis deux semaines, je l’ai averti qu’il serait sanctionné. Le lendemain, son père est arrivé à l’heure de la récréation, il voulait me parler sans rendez-vous. Moi, je n’ai jamais eu de problèmes avec les parents, je lui ai dit d’accord et on s’est installés dans une salle pour discuter. Il y avait une seule porte dans cette salle, je ne m’en étais pas aperçue. Le père m’a dit que j’avais « humilié » son fils alors qu’il avait fait son devoir, ce qui était faux. J’ai essayé de lui expliquer que j’attendais toujours son devoir. Il a commencé à élever la voix, il était assez baraqué et impressionnant. Je gardais mon calme quand il m’a insultée : « Vous êtes quelqu’un de mauvais, vous êtes une femme aigrie ! » Ça ne servait plus à rien de discuter, j’ai pris mes affaires et je me suis dirigée vers la porte. Il s’est mis devant moi et m’a bloqué le passage. J’étais coincée entre la porte et lui, il m’insultait et me menaçait à deux centimètres du visage : « Vous ne savez pas comment ça se passe ici, on va vous mettre au pas ! Ici, on s’arrange avec le chef d’établissement, vous serez sanctionnée pour harcèlement ! » Je ne sais plus ce qu’il m’a dit après, je crois qu’il m’a traitée de « salope ». Ses propos devenaient démentiels, je n’écoutais plus. J’avais juste peur qu’il me frappe. Tout ce que je voulais, c’était fuir ! Je lui ai dit qu’il fallait se rendre tout de suite dans le bureau du principal. Après un long déversement de haine, je ne sais par quel miracle, il s’est calmé. Nous sommes sortis et là, sur le chemin, il s’est effondré en larmes… et il est parti. Je suis restée seule au milieu de la cour, tremblante.
« Quand on envoie un élève dans le bureau du principal, il revient avec un grand sourire »
Puis, je me suis dirigée vers la salle des profs. Le chef d’établissement est venu me voir pour entendre le déroulé de l’histoire. Il m’a dit : « C’est bien, vous avez été brillante, vous avez réussi à vous en sortir toute seule ! Je vous félicite ! » Ensuite, j’ai appris que ce parent d’élève avait la réputation d’être « dangereux », qu’il était très instable et qu’il aurait été un mari violent… Personne ne m’avait mise en garde. Le chef d’établissement n’a jamais repris de mes nouvelles. Pour lui, c’était effacé, le problème était réglé. Je pouvais assurer mes cours. »
« Une autre fois, un élève m’a menacée dans les escaliers, sans témoin : « Votre voiture, c’est bien celle-là ? Vous n’avez pas peur pour vos pneus ? » C’était un élève qui se plaignait souvent de ses notes. J’ai averti le principal qui a discuté avec lui. Et lui a dit : « Tes parents sont des gens très bien, tu ne peux pas dire ça. » Quelque temps après, drôle de coïncidence, ma voiture a été rayée… Verdict du chef d’établissement : « On ne sait pas si c’est lui, ça peut être quelqu’un d’autre. »
Ce que j’ai appris au bout de 15 ans de carrière, c’est à régler les problèmes par moi-même. Je n’en parle plus au chef d’établissement. Inutile. En général, quand on envoie un élève dans son bureau, il revient avec un grand sourire. Là, vous avez compris que vous n’êtes pas soutenu. »
#PasdeVague
Depuis la diffusion de la vidéo d’un élève braquant sa professeure avec un pistolet factice à Créteil , la parole se libère chez les enseignants . Avec le hashtag #PasdeVague, des dizaines de milliers de professeurs osent parler de ce sujet jusqu’ici tabou : la violence exercée par une minorité d’élèves envers le corps enseignant. Quatre cent quarante-deux incidents graves sont signalés chaque jour dans les collèges et lycées de France, d’après la Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), un chiffre stable depuis des années et largement sous-évalué, tous les faits n’étant pas signalés. Les violences verbales représentent 40 % des faits, les violences physiques – principalement entre élèves – 30 %.
Ces agressions, menaces, intimidations ou insultes ne touchent pas que les professeurs. Surveillants, conseillers principaux d’éducation (CPE) et membres du personnel de direction sont également en première ligne. Certains ont accepté de se confier au Point. Ils racontent le jour où la violence a fait irruption dans leur quotidien, sur leur lieu de travail, alors qu’ils se pensaient respectés.
Lire aussi nos précédents témoignages « Il a déboulé vers moi, prêt à en découdre » ; « On te retrouvera ! » ; « On m’a traitée de raciste et de sale pute »
Derrière l’anecdote personnelle, ils dénoncent tous le manque de soutien de leur hiérarchie et des sanctions trop légères, voire inexistantes ou inapplicables.
*prénom modifié